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crire, en faisant la conquête de leur esprit et en façonnant leurs caractères à ses petitesses. Maupassant n’est pas le seul de notre temps à qui le monde a plus pris qu’il n’a donné. Et combien irréparable fut la perte pour nos lettres de France !

Car Maupassant était, de nature, un grand écrivain. Dans le double hommage que lui ont rendu Paris et Rouen, il n’y a eu ni complaisance, ni camaraderie d’école et de coterie, ni amour-propre de province, heureuse de grossir la liste de ses enfants illustres. Qu’on le prenne à son volume de début, à son livre de la vingtième année, malencontreusement appelé : Des vers ! et qu’on le suive jusqu’à ce roman terrible, le Horla, où, pour l’observateur inquiet, le génie de l’imagination versait déjà dans la folie, il est presque tout le temps égal à lui-même. Nul ne fut un meilleur écrivain français. Je crois, d’ailleurs, que l’art du style ne s’enseigne pas plus qu’il ne s’apprend. Tous les lettrés de notre temps, pour se faire un style, ont reçu le même enseignement : je veux dire qu’ils ont eu la même lecture. Seulement, de cette lecture semblable pour tous, il se fait, dans les cerveaux, ce qu’on pourrait appeler une digestion, inégale selon la santé des estomacs. Les uns savent et peuvent absorber l’enseignement des écrivains du passé, en profiter et s’en faire une langue où leur marque personnelle se mêle sans effort et comme à leur insu. Les autres vont à l’imitation et ne s’y dérobent que par la manière. Dans les deux cas, l’impuissance et l’effort n’échappent pas au critique. Maupassant ne connut ni l’un ni l’autre. Rien n’est plus franc que son parler et son procédé de composition. Il a vu