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revois sa figure hautaine dans l’envolée blanche de ses cheveux, de son foulard, Maupassant était là, un Maupassant maigri, grelottant, à la face diminuée, que j’hésitais à reconnaître. Nous passâmes quelques heures ensemble, et jamais plus je ne le revis. Il mourut peu après, et l’annonce de sa mort accrut encore dans ma mémoire la mélancolie de cette suprême rencontre.

« Ces souvenirs se sont réveillés, douloureux et précis, quand, avant-hier, M. le Ministre de l’Instruction publique qui, depuis de longues semaines, avait promis d’inaugurer aujourd’hui la statue de Victor Duruy, m’a délégué l’honneur de porter ici la parole en son nom. La tâche était périlleuse, et je l’ai jugée, comme je la juge encore, supérieure à mes forces. Vous subirez, Messieurs, les hasards de la vie officielle qui m’imposent le devoir de louer un écrivain qui n’est justiciable que de ses pairs. Et j’ai encore besoin de me rappeler, pour me trouver une excuse, que jadis Maupassant pratiqua mes besognes habituelles, qu’il fut quelque temps, lui aussi, l’hôte de cette vieille maison de la rue de Grenelle, et que, lui aussi, accoudé à la fenêtre du jardin, a suivi les vols des corbeaux familiers au sommet des grands platanes.

« Sans doute, pour se résigner à l’idée d’un hommage posthume, Maupassant eût exigé, dans sa rude probité, la promesse d’un jugement véridique et sans apprêts. Mais ce jugement, comment le dégager aujourd’hui avec quelque sûreté de la diversité des avis qui ont essayé d’expliquer les raisons d’une gloire universellement acclamée ? Chacun l’ayant