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ment, quand bien même il aurait voulu lui-même l’attacher sur ses traits qu’il cache. Il faut savoir ce que les hommes ont été, quand on a le document de leur œuvre, sans s’arrêter trop à ce que, parfois, ils ont voulu être. Eh bien ! dans cette œuvre, je trouve et l’émotion et l’idéal. Une émotion contenue, certes ; un idéal qui s’arrête peut-être à une tristesse inquiète devant les douleurs de l’homme, et à une aspiration hésitante à plus de bonheur pour lui. Mais ceci me suffit pour nier le bien fondé de la légende d’insensibilité, trop dédaigneuse et trop hautaine, qui a entouré Maupassant. Il disait dans ses premiers vers - dans ces premiers vers qui sont, pour les jeunes poètes, moins une promesse de talent qu’un aveu ingénu de leur âme :

Pourquoi Colomb fut-il si tourmenté,
Quand, dans la brume, il entrevit un monde ?

« Ce tourment devant l’inconnu ne peut être sans émotion. Et l’émotion de Maupassant, je la retrouve encore dans la plupart de ses Nouvelles, qui furent, ses chefs-d’œuvre, et où, même aux créatures les plus abaissées, il ne refuse pas le rachat des larmes. Les plus viles — que vous me permettrez d’appeler aussi les plus malheureuses - les héroïnes de Boule-de-Suif, de la Maison Tellier, de Mademoiselle Fifi, ont la résignation, la foi naïve, la sainte colère de la patrie outragée, qui les éclaire et les purifie d’une illumination d’idéal.

« Maupassant - j’ai risqué le mot un peu hardi - fut surtout un grand paysagiste d’âmes. Et, comme s’il était vrai que le talent de l’artiste peut être une