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Cependant Guy arrive à 18 ans. Les moutons ne lui inspirent plus que de l’indifférence. Il s’intéresse à d’autres aspects de la nature. L’éternel féminin s’est emparé de son imagination. Il rime toute la journée durant des madrigaux, des fadeurs, des déclarations, une longue épître à Mme X... qui « le trouvait sauvage ». Il se compare au farouche Hippolyte qui méprisait « l’amour et ses chaînes» :

Tantôt debout sur un roc solitaire
Il se penchait sur les flots écumeux
Et sa pensée, abandonnant la terre
Semblait percer les mystères des cieux
Tantôt courant sur la varre marine
Et poursuivant les grands oiseaux de mer
S’imaginant sentir dans sa poitrine
La liberté pénétrer avec l’air.

Il ne tarde pas à devenir sérieusement amoureux. Dans un morceau daté d’octobre 1868, il exprime, en traits de feu, son extase. Tous les potaches qui ont éprouvé les désordres de l’amour naissant se reconnaîtront en ces discours passionnés :

Rien ne peut contenir cet immense bonheur,
Elle m’aime et je vis et je sais qu’elle m’aime !
Qu’on est heureux d’aimer pour la première fois !
Pourtant elle est partie et n’est pas revenue.

Ce dernier vers renferme un avertissement sinistre. En effet, l’infidèle s’éloigne, elle consent à accorder une suprême entrevue. Et Guy de Maupassant fixe aussitôt dans une Nuit composée à l’exemple de Musset, l’émotion de cet instant douloureux. Les amants se perdent dans la campagne ; ils regardent