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Qu’est-ce qui pourrait, mieux que cette intransigeance farouche, peindre le sentiment de cette mère pour son fils, qui souffre, à tant d’années de distance, de la prétention d’une autre femme à lui avoir donné du lait... C’est son sein qui l’a abreuvé, comme son cerveau, comme son cœur... Ce grand homme fut, en ses bras, le petit enfant qu’elle ne permit à nul autre, de nourrir et d’éduquer.

Mais le génie du romancier s’alimenta à d’autres sources moins pures. Il faut aimer pour chanter l’amour. Ses héroïnes étaient la peinture de modèles qui avaient vécu. Elle en avait une profonde rancune. Lorsque la douleur physique eut terrassé l’homme et jugulé sa volonté, elle écarta d’un geste impérieux ces étrangères. Elle ordonna que la porte de l’asile demeurât close pour elles... Une femme écrivain que son fils avait aimée, qui avait partagé sa besogne intellectuelle, réuni les épis de son œuvre éparse, dont elle avait fait une des gerbes, Madame H. Lecomte du Nouy, vint souvent suppliante chez le docteur Blanche ; elle n’obtint point de faire fléchir la consigne maternelle. À quoi bon, au demeurant, puisqu’il ne se la rappelait plus, et que des raisins dorés qu’elle faisait offrir à sa soif, il ne savait que dire, avec un rire bestial : « Ils sont en cuivre », en refusant d’y toucher.

C’était le mot d’un fou ; il aurait pu être celui d’un sage. Avant que son cerveau ne délirât, uni deux fois en illégitimes noces, il avait repoussé l’or des raisins, et flairé, dans son souci d’indépendance, qu’ils n’étaient que du cuivre. Il avait échappé à la femme par la fuite.