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jamais donné signe de vie... pas même une carte après la catastrophe... La mort même ne semble pas les avoir désarmées. Le jour de l’an, en arrivant, Guy, les yeux pleins de larmes, m’embrassa avec une effusion extraordinaire. Toute l’après-midi, nous causâmes de mille choses ; je ne remarquai en lui rien d’anormal, qu’une certaine exaltation. Ce ne fut que plus tard, à table, au milieu de notre dîner, en tête-à-tête, que je m’aperçus qu’il divaguait. Malgré mes supplications, mes larmes, au lieu de se coucher, il voulut tout de suite repartir pour Cannes... Enfermée, clouée ici par la maladie : « Ne pars pas, mon fils ! lui criai-je, ne pars pas... ! » Je m’attachai à lui, je le suppliai, je traînai à ses genoux ma vieillesse impotente. Il suivit sa vision obstinée. Et je vis s’enfoncer dans la nuit... exalté, fou, divaguant, allant je ne sais où, mon pauvre enfant... ! »

Mme de Maupassant ne devait plus le revoir jamais. Un jour, une amie prépara doucement à la terrible nouvelle l’infortunée recluse.

Ce même jour, à Saint-Maxime-sur-Mer, petit pays de la côte méditerranéenne, un vieillard, aux façons aristocratiques, portant beau, se promenait dans le village. De sa poche sortait son journal, dont il n’avait pas défait la bande. On le regardait avec une commisération stupéfaite. Il s’étonnait de cette curiosité, dont il éprouvait une gêne exaspérante qui lui fit hâter son retour. Chez lui, il tira le journal de sa poche, l’ouvrit..., pâlit..., appela ses gens, sa petite-fille : « Simone... ma pauvre Simone, il n’est plus ! »

C’était le père : on avait oublié de le prévenir de la mort de son fils : les journaux la lui apprenaient.