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pas su devenir des philosophes, ni calmer ses transes mortelles, ses angoisses fiévreuses, ses cauchemars continuels qui ne s’interrompaient, au réveil, que pour faire place à des soupçons, à des doutes plus horribles encore que le rêve !

Il eût fallu à Guy de Maupassant un médecin comme le docteur Mordac de Maurice Paléologue, ce docteur qui se disait : « Quelle mystification que la thérapeutique ! Combien nous faudra-t-il donc épuiser de théories et de systèmes avant de comprendre que nous ne pouvons pas guérir ?… Pourquoi ne nous suffirait-il pas d’apaiser les souffrances de l’homme, d’abréger son agonie, d’anesthésier ses dernières heures, de lui faciliter le passage au néant, à ce néant qui l’épouvante et qu’il devrait tant désirer ? » Ou bien, se rappelant Hégésias, ce philosophe de Cyrène, surnommé Peisithanatos, « le Persuadeur de Mort » et dont Plutarque affirme qu’il était si persuasif que nombre de ses auditeurs mirent fin à leurs jours, le docteur Mordac songeait : « La voilà, notre vraie mission ! Dire au vieillard, à l’infirme, au dégénéré : ton mal est incurable ; l’âge, la diathèse, l’hérédité t’accablent ; tu ne peux désormais que traîner une existence précaire : douloureuse à toi, répugnante aux autres ; — disparais. En voici les moyens ; je te garantis l’insensibilité parfaite… Peisithanatos ! quel beau titre ! » [1].

Au lieu que cela, cette misérable existence que Maupassant avait vainement tenté de quitter, que

  1. Maurice Paléologue, La Cravache (Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1901, p. 272).