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la Maison Blanche, se place une anecdote qu’il faut pourtant ne pas laisser se perdre. Elle est d’une poésie navrante.

Ses amis savaient que Maupassant adorait son yacht. Il lui avait donné le nom d’un de ses plus célèbres romans : Bel-Ami. Ils pensèrent que la vue de son cher yacht aurait peut-être réveillé sa mémoire éteinte, qu’elle aurait donné un coup de fouet à sa pauvre intelligence naguère si limpide, disparue maintenant !

Ligotté, les bras maintenus par la camisole de force, le malheureux fut conduit sur le rivage. Bel-Ami se balançait doucement sur la mer… Le ciel bleu, l’air limpide, la ligne élégante de son yacht chéri, tout cela parut le calmer. Son regard devint doux… Il contempla longuement son navire, d’un œil mélancolique et tendre… Il remua les lèvres, mais aucun son ne sortit de sa bouche. On l’emmena. Il se retourna plusieurs fois pour revoir Bel-Ami. Ceux qui entouraient Guy avaient, tous, les larmes aux yeux. Et c’est les larmes aux yeux qu’un fidèle ami, Joseph Primoli, m’a conté ce navrant épisode de la dernière maladie de son pauvre Maupassant !

… Il s’est écoulé très-peu de jours entre la tentative de suicide et le départ pour Paris : cinq ou six jours suivant les souvenirs d’un ami de la famille, le docteur Balestre.

Mais la plus triste, la plus terrible période de sa dernière maladie était passée. Ce qu’il y eut de plus tragique, ce fut le temps que la raison était encore là, sous son crâne, mais qu’il sentait qu’elle allait s’échapper. C’est alors que les médecins n’ont