Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
LIVRE PREMIER

Tout ce qui fait leur être ; ou bien l’onde et la terre,
L’air et la flamme, unis, gardent leur caractère
Et, tout en se mêlant, ne changent pas de corps :
Alors, rien ne peut plus naître de leurs accords,
Rien, ni sève, ni sang, rien qui végète ou vive ;
780Chacun conservera sa nature exclusive ;
Et, dans les vains essais d’un mélange infécond,
Le feu, la terre ou l’eau resteront ce qu’ils sont.
Pour bannir ces combats et pallier ce vice,
Il faut un fond commun, neutre, qui garantisse
Un caractère propre à chaque être mortel.
Ils partent, je le sais, du feu qui règne au ciel ;
Le feu se change en air, l’air en pluie, et la terre
Naît de l’eau ; puis du sol, dans un ordre contraire,
L’eau, qui redevient air, l’air qui redevient feu :
Métamorphoses dont rien n’arrête le jeu,
Qui, de la nue au sol et du sol à la nue,
Font descendre et monter leur chaîne continue !
Mais la mobilité de pareils changements
Ne saurait convenir à de vrais éléments.
Il faut qu’en tout subsiste une immuable base :
Ou le néant bientôt aurait fait table rase.
Qui sort de sa nature et de ses attributs
N’est plus ce qu’il était, autant dire n’est plus.
Ces quatre éléments donc, puisqu’ils changent et meurent,
800Procèdent forcément d’autres corps qui demeurent ;
Sinon, le monde entier croule dans le néant.
Vaut-il pas mieux ravir à ce gouffre béant
Des corps primordiaux, dont les constantes forces,
Par des hymens subtils et de secrets divorces,