Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
DE LA NATURE DES CHOSES

Il existe du vide, un libre et pur milieu.
Et comment supposer un mouvement sans lieu ?
L’office de tout corps étant la résistance,
La substance tiendrait en échec la substance,
Si les corps ne cédaient à leur choc mutuel ;
Or, de la mer aux monts et de la terre au ciel,
Nous voyons en tous sens s’agiter la matière.
Le vide au mouvement peut seul donner carrière ;
Rien ne vivrait sans lui, car rien ne serait né
Dans l’univers stagnant par sa masse enchaîné.

Si compacte, d’ailleurs, que semble un corps solide,
Il faut bien qu’en sa trame il admette du vide. 360
Tu vois filtrer les eaux à travers le rocher,
L’humidité de l’antre en larmes s’épancher,
Dans les membres divers les aliments descendre,
Du tronc dans les rameaux la sève se répandre
Et de l’arbre croissant rejaillir en fruits mûrs.
Le son vole, perçant les enclos et les murs,
Et jusqu’aux os roidis entre le froid livide.
Par où passent ces corps ? Passeraient-ils sans vide ?
Sans cet espace ouvert tu t’expliquerais mal
Tant de poids inégaux sous un volume égal.
Car si le grain de plomb et le flocon de laine
Étaient pareillement faits de substance pleine,
Ils pèseraient autant. Tout corps doit tendre en bas ;
Et l’essence du vide est de ne peser pas.
Quand donc tu vois deux corps remplir le même espace,
Dans le moins lourd le vide occupe plus de place,
Le plus pesant est fait d’un tissu plus serré.