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LIVRE SIXIÈME

Avec leurs citoyens dans la mer descendues !
Et si, dans l’épaisseur de la terre perdues,
Les haleines des vents n’ont pu crever le sol,
Par les mille conduits qui divisent leur vol
Rampe un frisson qui monte et s’épand dans les plaines.
Tel un froid pénétrant qui, du fond de nos veines,
Gagne et fait malgré nous grelotter notre chair !
Sous la terre, épouvante ! épouvante dans l’air !
Là haut les toits, en bas les antres ! la Nature
Veut-elle en quelque énorme et subite aventure
Enfouir ses débris pêle-mêle croulants,
Et combler de son corps l’abîme de ses flancs ?

Bien qu’une foi tenace à la foule réponde
De l’immuable et sûre éternité du monde,
Il est de tels dangers que leur vue en plein cœur
Enfonce on ne sait quel aiguillon de terreur.
La terre brusquement sous les pieds se dérobe ;
L’univers trahi croule à la suite du globe,
De fond en comble, amas confus, gouffre béant !
620Et l’on sent le grand tout rentrer dans le néant.

Expliquons maintenant pourquoi la mer ignore
L’accroissement. Quoi donc ! tant d’eaux qu’elle dévore,
Ces fleuves dans son lit tombant de toutes parts,
Ces vols de tourbillons et d’orages épars,
D’où la pluie à torrents sur le monde ruisselle,
Ses propres réservoirs enfin, tout coule en elle ;
Et, chose étrange, rien n’élève son niveau ?
Eh ! près de l’Océan, que sont ces trésors d’eau,