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DE LA NATURE DES CHOSES

Du soleil, c’étaient là nos uniques richesses.
Satisfaits de ces dons spontanés, nos aïeux
Sous les chênes des bois paissaient insoucieux ;
Ou bien sous l’arbousier leur main cueillait ces baies
Que les hivers encore empourprent dans nos haies.
Dans ces temps reculés, le sol plus généreux
980Leur prodiguait des fruits plus gros et plus nombreux ;
Et, large table offerte à la naissante vie,
La Nature épandait sa nouveauté fleurie.

Invités par la rive, ils buvaient aux ruisseaux ;
Ainsi, tombant des monts, la fraîche voix des eaux
Appelle encore au loin les bêtes altérées.
Vers la nuit, ils gagnaient les demeures sacrées
Des Nymphes, d’où les flots des sources, épanchés
En nappes sur le flanc des humides rochers,
De chute en chute allaient au sein des mousses vertes
Jaillir et bouillonner dans les plaines ouvertes.
Les usages du feu leur étaient inconnus.
Ne sachant même pas faire à leurs membres nus
Un grossier vêtement des dépouilles des bêtes,
Aux cavités des monts se cherchant des retraites,
Tapis sous les forêts, de broussailles couverts,
Ils évitaient la pluie et l’injure des airs.
Point de rapports amis, point d’action commune.
Ravisseur du butin livré par la fortune,
Chacun se conservait, chacun vivait pour soi.
1000La faim était leur guide et la force leur loi.
Le mutuel désir de Vénus animale
Ou la brutalité furieuse du mâle