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XXIII
PRÉFACE

l’affranchissement de l’esprit humain. Pour lui, écarter de tout phénomène l’intervention divine, c’est dissiper les vaines terreurs, c’est briser le joug, non des superstitions seulement, comme l’insinuent de prudents commentateurs, mais bien de toute religion.

En vain, restreignant aux divinités de l’Olympe la portée des attaques du poëte, chercherait-on à sauver de ses coups soit une religion, soit la religion en général, soit encore les axiomes spiritualistes. La portée des arguments de Lucrèce n’est point limitée par le temps. La sentence par lui rendue contre les dieux de Rome et de la Grèce a été prononcée une fois pour toutes : elle s’étend à toutes les illusions passées, présentes et futures, de cette curiosité trop tôt découragée ou trop tôt satisfaite qu’on nomme le sentiment religieux, à toutes les abstractions personnifiées, de quelque âge et de quelque ordre qu’elles soient.

On a tenté de prendre Lucrèce en flagrant délit d’inconséquence, et de montrer qu’il obéit lui-même aux tendances qu’il réprouve : « Si son ironie, a-t-on dit, relègue les dieux dans une stérilité qui les condamne, sa religiosité inconsciente ne fait que leur substituer une entité plus vague, la Nature des Choses, dont on connaît assez la prosopopée (Livre III). Appelez cette invisible souveraine Sagesse divine, Harmonie préétablie ou Providence, et vous avez dans Lucrèce un précurseur de Jésus, de Paul ou de Leibniz, à tout le moins de Spinoza » .

Est-il besoin de répondre qu’il y a dans Lucrèce