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DE LA NATURE DES CHOSES

Telles sont les couleurs. Ne les voyons-nous pas
Flotter sous l’appareil de poutres et de mâts
Qui sur nos fronts déroule au-dessus des théâtres
Ces grands voiles vermeils, empourprés ou bleuâtres ?
L’espace est imprégné de leurs reflets tombants ;
80Et la scène et la salle et le cercle des bancs,
Sénats, matrones, dieux, tout ondoie en leur teinte ;
Et plus exactement le tissu clôt l’enceinte,
Plus le riant éclat baigne l’air coloré,
Absorbant tous les feux du jour transfiguré.
Puisque l’étoffe au loin de sa surface extrême
Lance un reflet, tout corps ne peut-il pas de même
Projeter une image éclose de ses bords ?
Je dis qu’un fil léger suspend à fleur des corps
Une forme subtile, écorce qui s’envole,
Insensible pour nous dès qu’elle s’en isole.

Si les exhalaisons, les brumes, les odeurs
Se déchirent dans l’air et fondent en vapeurs,
C’est que, du fond des corps à grand-peine élancées,
Elles n’en sortent pas sans s’être dispersées
Dans les détours étroits de tortueux sentiers.
Les reflets des couleurs peuvent rester entiers :
Sur l’extrême contour d’où leur substance émane,
Rien n’en brise et n’en tord l’impalpable membrane.
L’ombre qu’on voit éclore en tout ce qui reluit,
100Dans l’éclat du miroir ou de l’eau, reproduit
Les choses trait pour trait. D’où viendrait cette image,
Sinon d’une effigie arrêtée au passage ?
Pourquoi, je le demande, un pur linéament