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LIVRE TROISIÈME

La mort se glisse et parle aux buveurs ceints de roses,
Leur criant :« Jouissez ! si court est le plaisir !
Lorsqu’il s’est écoulé qui peut le ressaisir ?»
Pensent-ils que la mort altère son convive,
Ou qu’au dernier soupir un seul besoin survive ?

Et si l’homme s’oublie aux heures du sommeil,
Que sera-ce au tombeau, dans la nuit sans réveil ?
Nul regret, nul souci, quand l’âme et le corps dorment ;
Encor cette substance où les désirs se forment
Erre non loin des sens : à peine l’aube a lui,
Que l’homme se rassemble et soudain rentre en lui.
Mais la mort n’a point d’aube ; et quand sa nuit glacée
Nous surprend, c’en est fait ! la vie et la pensée
Et tout ce qui fut nous, sans retour prend l’essor.
Si le sommeil n’est rien, la mort est moins encor.

Si, prenant une voix, la Nature des Choses
Se levait, lasse enfin de nos terreurs sans causes,
Et gourmandait ainsi quelqu’un des mécontents :
960« Mortel, pourquoi ce deuil ? ces pleurs ? Il n’est plus temps.
» Si jusqu’ici pour toi la vie en biens abonde
» Qui, sur tes jours versés, n’ont pas fui comme une onde
» En un vase sans fond, quitte-la satisfait ;
» Sors-en rassasié comme on sort d’un banquet,
» Et tranquille endors-toi dans la paix éternelle.
» Si, déçu par ses dons, tu t’es dégoûté d’elle,
» Pourquoi, cueillant des fruits qui tombent de ta main,
» Joindre aux pertes d’hier les pertes de demain ?
» La mort clôt ton labeur, reçois-la sans colère.