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DE LA NATURE DES CHOSES

580Mais, par la mort chassés et dans l’espace épars,
Ils perdent tout ressort, parce que nulle écorce
Ne comprime leur sève et ne contient leur force.
L’air serait un vrai corps vivant, si l’âme en lui
Pouvait se recueillir et rencontrer l’appui
Que prête à ses élans la corporelle étreinte.
Je le répète donc, lorsque la vie éteinte
A rejeté le souffle et rompu le contour,
Il faut bien que l’esprit se dissolve à son tour,
Et l’âme avec l’esprit, car leur cause est la même.

Quoi ! le corps, sous le coup du divorce suprême,
S’effondre en pourriture infecte ; et tu nierais
Que, s’élevant du fond de ses vases secrets,
L’âme ait pu s’envoler comme fait la fumée ?
Toute cette structure en poussière abîmée,
Ce plein écroulement, ne proclament-ils pas
Qu’ébranlés, expulsés en minimes éclats
Pour glisser aux défauts des mailles de la trame,
Se sont évaporés les éléments de l’âme ?
Qu’en leur ouvrant passage, enfin, mille détours
600En impalpables flots ont dû briser leur cours ;
Qu’avant de se noyer dans les airs divisée,
En nous l’âme déjà s’était décomposée ?
Même en deçà du terme, en pleine vie, un coup
Imprévu bien souvent la sape et la dissout.
On dirait qu’elle va s’écouler tout entière
Et rompre ses liens. Comme à l’heure dernière,
Le visage mourant languit ; de tout le corps
Exsangue on voit fléchir et tomber les ressorts.