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DE LA NATURE DES CHOSES

Que se sont combinés les éléments des corps.
Ce sont les mille chocs de tâtonnants efforts,
Les essais hasardeux de formes, d’assemblages,
Qui seuls, dans l’infini de l’espace et des âges,
Constituèrent l’ordre où naquit l’univers.
Puis, une fois jetée en ses moules divers,
Une longue habitude y maintint la nature.
1040À la mer toujours pleine ainsi le fleuve assure
L’intarissable flux de renaissantes eaux ;
Ainsi, du sol couvé de rayons toujours chauds,
S’épanouit la vie en sa fleur toujours neuve ;
Ainsi de feux constants notre soleil s’abreuve.
Quelles choses pourraient lutter contre la mort,
Si, du fond de l’espace, un éternel renfort
Ne réparait la brèche ouverte en leur structure ?
Aux animaux, à l’homme, ôte la nourriture :
Tu vois tomber leur force et fléchir leur contour.
Ainsi, dès que, fuyant sans esprit de retour,
La matière a cessé de renouveler l’être,
Tout bloc doit se dissoudre, et, partant, disparaître.
Quel obstacle opposer à la dispersion ?
Ces chocs extérieurs qui, par leur action,
Tantôt à coups pressés forcent un corps d’attendre
L’afflux des éléments qu’un autre va lui rendre,
Tantôt, faisant d’un groupe éclater les liens,
L’ouvrent aux germes neufs et donnent aux anciens,
Avec la liberté, le temps de fuir leur chaîne,
1060Ne supposent-ils pas une immensité pleine
Et des trésors sans borne, incessamment ouverts
Au renouvellement de l’immense univers ?