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les rocs, leur aient donné la vie [1156] : mais ils la doivent à cette terre qui les nourrit encore de sa substance.

D’ailleurs, elle créa pour les premiers hommes, elle créa spontanément et leur offrit elle-même les riantes moissons, les vignobles et les gras pâturages, (2, 1160) doux enfants du sol, qui de nos jours poussent et grandissent à peine sous des mains actives. On use des bœufs, on consume des hommes, et à peine suffisent-ils à la terre paresseuse : tant les fruits dépérissent et ont besoin de travail pour croître ! Déjà le vieux laboureur, secouant la tête, gémit de ses efforts perdus, de ses sueurs inutiles ; et quand il compare son temps aux temps passés, il vante le bonheur de son père. Triste comme lui, épuisé comme sa vigne, le vigneron (2, 1170) accuse de même les temps qui changent ; il tourmente le ciel, il crie sans cesse que les générations antiques, occupées seulement des dieux, tiraient une subsistance facile de leur humble domaine, quoique chacun eût moins de terre que nous : mais il ne sait pas que la vieillesse dévore lentement les êtres, et que le monde court à sa perte, déjà fatigué par les âges.





LIVRE III.


(3, 1) Toi qui, le premier, as su faire jaillir de ténèbres si épaisses une lumière si vive, nous éclairant sur les intérêts de la vie, je te suis, honneur du peuple grec, et déjà sous mon pied je couvre, je presse la trace de tes pas : non que je veuille tenter la lutte ; mais, épris de ta sagesse, je brûle de t’imiter. Vit-on jamais hirondelle le disputer aux cygnes ? Le chevreau, tremblant des membres, peut-il rien faire qui vaille le généreux effort du coursier robuste ? Toi seul inventas ces choses, et tu es un père qui nous laisses (3, 10) tes leçons en héritage : dans tes œuvres, illustre sage, comme dans les bois fleuris que dépouillent les abeilles rongeuses, nous aspirons tout le suc de tes paroles, où l’or, où l’or pur éclate, et qui sont à jamais dignes de la vie éternelle !

Car aussitôt que le cri de ta raison divulgue cette nature des choses échappée de ton intelligence divine, les terreurs des âmes se dissipent [18], les barrières du monde s’écartent, et je vois tout s’accomplir au milieu du vide. Alors réapparaissent dans leur sainteté les immortels, et leurs paisibles demeures : (3, 20) elles ne sont exposées, ni à la secousse des vents, ni aux averses des nues, ni aux souillures de la neige condensée par un froid aigu, et qui tombe toute blanche ; car un ciel sans nuages les enveloppe, les inonde toujours de sa riante lumière. La nature des dieux suffit à leurs besoins, et en aucun temps aucun souci ne ronge la paix de leur âme. Mais je ne découvre pas, en face du ciel, les voûtes infernales ; et pourtant la terre ne dérobe point à mes vastes regards tout ce qui se passe, sous nos pieds, au fond du vide. En examinant ces choses, une céleste volupté, un saint effroi me pénètrent, de voir que, sous ta main puissante, (3, 30) la Nature s’illumine et s’ouvre tout entière, dépouillée de ses voiles.