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sa mère ? Mais elle l’a mérité, ayant donné le jour à un monstre tel que toi. Après tout, sommes-nous donc si coupables, si criminelles (5, 660) pour secourir un héros qui, docile aux ordres d’un tyran barbare, affronte des mers jusqu’à lui inconnues, et pour encourager de quelque espoir sa merveilleuse audace ? Mais, au lieu de prier Éétès, de s’allier avec lui, ne devions-nous pas d’abord engager aveuglément le combat ? Oui, ainsi font les Thraces ; ainsi cet insensé, quand il veut obtenir quelque chose. Pour moi, que ne puis-je prévenir tout désaccord, toute guerre entre les deux alliés ! Donnez-nous donc la toison, vous qui êtes l’arbitre de toutes choses, et soudain nous reprenons le chemin des mers. Que si Mars s’y refuse encore, et s’oppose seul à l’exécution de nos projets, (5, 670) me faudra-t-il à travers tant de mers rapporter cet affront, et avouer ainsi mon impuissance ? » Elle dit : Mars, les yeux enflammés, commençait à répondre, quand Jupiter l’interrompt et l’arrête par ces mots : « Insensé, pourquoi cette colère ? Quand le mal est fait et que déjà vous vous en repentez, vous venez réclamer ma justice ! Combattez donc, achevez ce que vous avez commencé, puisqu’aussi bien vous en payerez la peine. Vous cependant, mon épouse et ma fille, écoutez mes avis. Contentez-vous de repousser Persès, et qu’un vain espoir ne porte pas (5, 680) les Argonautes à mettre fin à la guerre. Tel est l’arrêt du Destin : l’ennemi lèvera son camp et ajournera la guerre, effrayé de l’arrivée des Pélasges et de la valeur de leur chef. Mais à peine auront-ils regagné la Thessalie, que Persès reviendra s’emparer du sceptre et du royaume d’Éétès. Or, quand il aura vieilli dans un long exil, celui-ci, secondé par sa fille (tâche trop glorieuse, après les crimes qu’elle aura commis) et par un petit-fils issu du sang d’un Grec, sera rétabli sur son trône. Voilà le terme assigné aux divisions, aux haines des deux frères. (5, 690) Allez maintenant, et que chacun de vous choisisse à son gré ses adversaires. »

Il dit, fait, dresser les tables, et rétablit la concorde parmi les dieux. Cependant la Nuit déploie dans l’Olympe son manteau d’étoiles ; le chœur des Muses et le dieu qui joue de la lyre s’avancent pour chanter les combats de Phlégra, et Ganymède verse à la ronde le céleste nectar. Les dieux, chacun dans son palais, vont goûter le sommeil.



LIVRE VI.

(6, 1) Cependant Mars veille, possédé des mêmes fureurs, et l’amer ressentiment bouillonne dans son sein. Ne sachant quel parti prendre, qui protéger, il veut aller s’assurer par soi-même s’il peut dompter les Argonautes, anéantir l’élite de la jeunesse grecque, et, par une défaite sanglante, punir Éétès de son indigne traité. Il lance son char, brandit sa pique, signal irrévocable de la guerre, et s’arrête au-dessus des tentes de l’armée scythe. Le Sommeil fuit tout à