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c’est que peut-être cette nouvelle sera parvenue chez les Mariandinyens, au frère de mon ami. Mais non : que Lycus reste dans ses foyers, et que nous n’ayons pas à pleurer une victime de plus. »

Voyant que ce récit, loin d’effrayer les Argonautes, ne fait qu’exciter leur ardeur et leur indignation, il se hâte de les engager à le suivre.

À l’extrémité du rivage s’ouvre une immense caverne, couronnée d’arbres et de rochers menaçants, affreux repaire où la lumière du ciel ne pénètre jamais, (4, 180) où mugissent les vagues bondissantes, et où, dès l’entrée, s’offre un épouvantable spectacle. On voit des bras arrachés et encore armés du ceste, des os livides et décharnés, de lugubres rangées de crânes, des têtes entièrement défigurées par les blessures, et au milieu, sur un autel consacre à Neptune, les armes redoutables d’Amycus.

Alors les Argonautes commencent à se rappeler les conseils de Timante et à ressentir les effets de la peur ; ils croient déjà voir les traits monstrueux d’Amycus, et se regardent en silence. (4, 190) Mais l’intrépide Pollux s’écrie d’un ton plein d’assurance : « Qui que tu sois donc, et malgré l’effroi que tu inspires, je ferai en sorte que tu figures dans ce séjour, si tu as du sang et des membres. » Tous, comme lui, brûlent de combattre ; tous demandent Amycus, et veulent se trouver face à face avec lui. Tel un taureau, bravant la profondeur et le courroux d’un fleuve écumeux, s’élance le premier dans ses gouffres inconnus, nage, et entraîne derrière soi le troupeau tout entier, que cette audace rassure et qui bientôt a devancé son chef.

Cependant l’affreux géant quittait ses troupeaux et ses bois, (4, 200) et marchait vers son antre. Ses propres sujets ne peuvent le contempler sans frémir. Il n’a rien de mortel, et ressemble à un rocher qui s’élève du sein des montagnes, seul visible au milieu de tous ceux qui l’entourent. Furieux, il vole, et sans demander aux Argonautes qui ils sont, où ils vont, ce qu’ils veulent, il s’écrie d’une voix tonnante : «. À l’œuvre donc, jeunes guerriers ! car j’imagine que votre seule audace vous amène en ces lieux, que vous avez entendu parler de nous, et que vous venez nous attaquer. Je suppose toutefois que vous vous êtes égarés, que vous ne connaissez pas ce pays ; sachez-en du moins les usages. Armez-vous du ceste et préparez-vous au combat. (4, 210) Tel est l’accueil que reçoivent ici tous ceux qui viennent de l’Asie, des pays situés à droite et à gauche de l’Euxin, la Scythie et le Pont ; les rois même ne s’en retournent qu’après m’avoir combattu. Ici habite Neptune, et je suis son fils. Depuis longtemps mes cestes se reposent ; la terre est altérée ; quelques dents seules apparaissent çà et là. Qui de vous le premier scellera de sa main notre alliance et recevra mes dons ? Mais vous aurez tous cet honneur ; la terre ni le ciel ne sauraient vous y dérober. Les larmes, les prières le nom même des dieux, ne font rien sur mon cœur ; Jupiter est roi sur d’autres rivages. (4, 220) J’aurai soin que nul vaisseau ne puisse franchir la mer