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cours d’Hercule, et de ces armes qu’on méprise aujourd’hui. Que nous feront alors tous ces vains discours ? »

Tâchant ainsi d’intimider ses compagnons, il verse des larmes et souille ses cheveux de poussière. Mais les destins l’emportent. Entraîné par le parti le plus fort, Jason cède, en cachant sous son manteau ses pleurs et son visage. Alors les regrets se réveillèrent plus vifs, (3, 720) quand chacun, placé à son banc, vit inoccupé l’énorme espace où se tenait Hercule sur la dépouille du lion de Némée. Le pieux Télamon redouble de larmes ; Philoctète est consterné ; Castor et Pollux confondent leurs gémissements. Tous, en quittant la rive, appellent Hercule, appellent Hylas ; vains noms qui se perdent sur l’immensité des flots.

C’était l’heure où le vieux Phorcys, rassemblant au son d’une conque recourbée ses phoques difformes, les fait rentrer dans leurs sombres cavernes, et où les bergers de la Numidie, de la Crète et de la Calabre quittent les pâturages. (3, 730) La nuit arrive ; elle couvre de ses ombres les dernières côtes de l’Hespérie, et parsème le ciel d’étoiles. Dans les airs, sur les flots, tout est calme, tout se tait. Hercule ne sait où courir encore, ni comment rejoindre ses compagnons, ni que leur apprendre de la disparition d’Hylas ; son amour le dévore et l’empêche de quitter ces bois, leur solitude. Telle, privée de ses lionceaux, la lionne rentre dans son repaire, le quitte encore, fait le guet le long des chemins, tient les hommes en éveil, et les épouvante au fond des cités : cependant la douleur contracte ses paupières, (3, 740) et de sa crinière souillée dégouttent des pleurs.



LIVRE IV.

(4, 1) Assez longtemps le père des dieux fut indifférent à ce spectacle. Touché enfin des pieuses amours de son fils, il accuse Junon, qui tremble aux accents de sa colère : « Voyez-la savourer en secret sa joie barbare ! Abandonné, furieux, Hercule est attaché à ces rivages solitaires, tandis que les Argonautes, n’y songeant déjà plus, voguent tranquillement en pleine mer. Est-ce ainsi que Junon, attentive aux intérêts de Jason, fournit à son héros des secours et des armes ? Il fera beau la voir tout à l’heure, éperdue, redouter les guerriers de la Scythie (4, 10) et souffrir mille angoisses ! Qu’elle vienne alors me prier, me supplier, verser des larmes : je ne le souffrirai pas. Va ; provoque Vénus et les Furies ; l’attentat d’une jeune fille ne sera pas impuni, et les gémissements d’Éétès ne resteront pas sans vengeance. »

Il dit, et sur le front d’Hercule errant çà et là, il verse une rosée mystérieuse, parfumée de nectar, et toute-puissante pour rendre le calme à son cœur, le sommeil à ses yeux. Pendant que ses paupières s’appesantissent, le nom d’Hylas sort toujours de sa bouche. Mais le héros n’a plus la force de résister à l’influence de Morphée ; (4, 20) il tombe. La forêt émue redevient silencieuse ; sur