Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas ainsi reposer sa vengeance. De nouveaux monstres échappés du Tartare, de nouveaux ordres venus d’Argos, le retiennent sans doute loin d’ici. Nous n’avons plus avec nous ce rejeton du grand Jupiter ; mais il nous reste Castor et Pollux, issus du même sang, et d’autres fils d’autres dieux ; moi-même j’ai quelque confiance dans mon origine. (3, 670) Oui, partout où tu m’appelleras, j’irai ; je moissonnerai des bataillons entiers avec mon épée ; ma main t’est dévouée ; tout ce que j’ai de sang est à toi, et je retiens pour moi les dangers les plus grands. Mais nous n’avions de salut que dans les armes d’Hercule, et il nous abandonne : eh bien, nous tous qui ne sommes que de simples mortels, nous n’en ramerons qu’avec plus d’ensemble. Depuis longtemps, en proie à une agitation insensée et fier du renom qu’il s’est acquis déjà, il dédaigne de partager notre gloire et refuse de nous accompagner. Vous dont la valeur, à son premier essor, est animée par l’espérance, (3, 680) partez : le sang bout dans vos veines, vos membres sont pleins de vigueur ; songez que la Colchide ne sera pas la seule terre où vous sèmerez la mort, ni la mer le seul théâtre où se fera craindre votre vaillante jeunesse. J’ai compté sur Hercule aussi longtemps que j'ai dû le faire ; mon amitié pour lui me l’a fait chercher jusqu’au fond des forêts ; il n’est pas de lieu dont mes cris n’aient troublé le silence. Maintenant encore que nous délibérons, je voudrais le voir descendre du haut des montagnes ; mais, croyez-moi, c’est assez lui donner de larmes ; peut-être le sort commun à tous, ou quelque combat, nous l’a-t-il à jamais ravi. »

(3, 690) Ainsi Meléagre pressait les Argonautes. Ils s’enflamment à ce discours. Le premier de tous, Calaïs ordonne de lever l’ancre. Frappé de leurs transports et de leur enthousiasme, pénétré de douleur, Télamon est sur le point de se soustraire à la complicité de ce triste abandon et de gagner les montagnes. Et cependant il ne cesse de gémir et d’exhaler une inutile colère. « Ô Jupiter, dit il, quel jour pour les peuples de la Grèce ! quelle joie pour la cruelle Colchos ! Ce n’était pas cet orgueil, ce n’était pas ce superbe langage, (3, 700) quand, près de quitter le rivage de la patrie, à la voix des Zéphyrs, toutes les caresses étaient pour Hercule. Qu’il soit notre soutien, disait-on ; qu’il accepte l’honneur et les soins du commandement. Mais aujourd’hui n’est-on pas son égal en valeur, en naissance, en exploits ? Pourquoi donc cette confiance dans le seul Hercule ? pourquoi ces pleurs ? Nos chefs ne sont-ils pas le petit-fils de Parthaon, les enfants de Borée ? N'est-ce pas le lion qui tremble maintenant, et l’agneau qui menace ? J’en atteste cette lance, dépouille du vaillant Didymaon, dont le bois, depuis le jour où elle fut arrachée au tronc maternel, ne produit plus ni rameaux, ni feuillage ; cette lance (3, 710) qui m’est si fidèle, et qui ne m’a jamais manqué dans les sanglantes mêlées ; plus d’une fois, et j’en prends tous les dieux à témoin, au milieu de nos craintes et de nos vicissitudes, plus d’une fois, ô Jason, tu invoqueras, mais trop tard, le se-