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enlevé par le Notus à l’haleine stridente. La mer bouillonnait tout alentour, quand Neptune, le trident en main, lève la tête au dessus des flots, et dit : « Les larmes de Pallas et celles de ma sœur ont dompté ma résistance, et sauvent aujourd’hui ce vaisseau ; viennent plus tard, encouragés par cet exemple, ceux de Tyr et de l’Égypte ; et alors que de voiles déchirées par les vents ! que d’importunes clameurs sur toute l’étendue de mon empire ! Ni mon fils Orion, ni le Taureau et ses cruelles Pléiades, ne seront la cause des nouvelles catastrophes qui menacent les malheureux humains : toi seule, Argo, les leur prépares ; et toi, Tiphys, car tu l’auras mérité, (1, 650) nulle mère ne te souhaitera le tranquille Élysée et le séjour des mânes pieux. »

Il dit, rend le calme à la mer et à ses rivages, et chasse les Vents ; avec eux se dissipent la sombre fureur des flots, les nuées pesamment chargées d’eau, et la pluie qui se traîne à la suite. Sitôt qu’ils sont rentrés dans leurs cavernes d’Éolie, l’azur des cieux reparaît, Iris déploie sa ceinture, les nuages se réfugient au sommet des montagnes ; et le vaisseau, soulevé du fond de l’abîme par Thétis et Nérée, reprend son aplomb sur les flots apaisés.

Jason, se couvrant les épaules du manteau sacré, (1, 660) prend une coupe d’or. C’était un gage d’hospitalité, qu’en échange d’un carquois Éson avait reçu jadis de Salmonée, avant que celui-ci, follement impie, et rival du dieu qui lance le tonnerre sur l’Athos et sur le Rhodope, n’eût fabriqué cette machine à quatre dards, vaine image de la foudre de Jupiter, avec laquelle il incendiait les hautes forêts de Pise et les malheureuses campagnes de l’Élide. Jason fait avec cette coupe des libations à la mer, et s’écrie : « Dieux de la mer et des tempêtes, vous dont l’empire est égal à celui du ciel ; et toi, Neptune, que le sort fit roi de cet empire et de ses divinités à double forme, (1, 670) soit que cette nuit orageuse ait été l’effet du hasard, ou de ces lois qui, pour équilibrer les forces du monde, font soulever les mers quand les cieux s’abaissent ; soit que l’aspect inattendu de ce navire et de nos guerriers ait excité subitement ta colère, je suis assez puni. Reviens à de meilleures pensées ; permets que je ramène un jour mes compagnons dans leur patrie, et que j'embrasse moi-même le seuil de la maison paternelle. Alors, dans nos cités plus qu’en aucun lieu du monde, on verra tes saints autels arrosés du sang des plus grasses victimes ; et ton image redoutable debout sur son char, précédé d’un énorme triton soutenant le frein de tes coursiers. »

(1, 681) Il dit, et toutes les voix, toutes les mains s’élèvent en signe d’approbation. Ainsi, quand la colère du ciel et les feux de Sirius, dévastateur des campagnes de la Calabre, font peser sur les moissons et sur les troupeaux leur funeste influence, la foule éperdue des laboureurs se rassemble dans la forêt antique, et répète les prières qu’adresse aux dieux le pontife vénéré. Soudain les Zéphyrs descendent mollement ; la nef vogue à pleines voiles et fend les eaux, dont elle fait jaillir l’écume sous le triple airain