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et de renommée avec ses habitants : tel fut l’arrêt des destins ; tel a été notre amour pour ce pays. Mais le jour fatal approche à grands pas : nous abandonnons l’Asie chancelante ; déjà les Grecs nous demandent leur tour de régner. Nos oracles, nos chênes prophétiques, les mânes de leurs pères, tout a précipité ces hommes sur les flots. À travers les mers et les tempêtes, ô Bellone, s’ouvrent pour toi de nouveaux chemins. Il ne s’agit pas seulement d’une toison, ni des colères qu’elle va soulever ; le rapt d’une jeune fille causera bien d’autres douleurs ; mais rien n’est plus arrêté dans notre pensée. Un berger phrygien viendra du mont Ida (1, 550) rendre à la Grèce les mêmes présents, les mêmes colères et les mêmes douleurs. Que de flottes, que d’armées en mouvement pour deux amants ! Que d’hivers Mycènes passera dans les larmes sous les murs de Troie ! Que de chefs illustres, de héros, de fils des dieux on verra mourir ! L’Asie elle-même cédera à sa destinée. Puis les Grecs auront leur fin ; et bientôt notre sollicitude se tournera vers d’autres peuples. Ouvrez-vous, lacs, forêts et montagnes ; barrières des flots, rompez-vous : que la crainte et l’espoir partagent le monde. En changeant la face des lieux et des empires, nous verrons quel peuple régnera le plus longtemps sur le monde, (1, 560) quel peuple méritera que nous lui en abandonnions les rênes. »

Tournant alors les yeux vers la mer Egée, il aperçoit Hercule et les fils de Léda, et dit : « Héros, gagnez le ciel : c’est en combattant le farouche Japet, dans les champs phlégréens, que j’ai conquis l’empire de l’univers. Il est pénible et rude le chemin que je vous ai tracé ; mais mon fils Bacchus qui dompta la terre, Apollon qui l’habita longtemps, l’ont tous deux remonté. »

Il dit, et lance à travers l’espace un éclair flamboyant, qui sillonne l’éther dans toute son étendue. Arrivée près du vaisseau, (1, 570) la flamme se sépare en deux jets, et va se fixer paisiblement aux fronts des Tyndarides, prenant tout à coup cette teinte pourprée et douce que béniront un jour les malheureux matelots.

Cependant Borée a déjà vu, du haut du mont Pangée, le navire voguer à pleines voiles ; furieux, il s’élance vers l’Éolie, île caverneuse de la mer de Tyrrhène. Les forêts gémissent sous son vol impétueux ; les moissons sont renversées ; les flots se gonflent. Dans la mer de Sicile, à l’endroit où le Pélore fuit à l’horizon, (1, 580) est un affreux rocher dont la crête tantôt s’allonge vers la nue, tantôt est refoulée jusqu’au fond de l’abîme. Près de lui, et aussi hérissé de récifs et d’antres creux, est une autre terre, séjour d’Acamas et de Pyracmon aux membres nus. C’est dans ces îles que les Vents, les Ouragans, les Tempêtes fécondes en naufrages, ont choisi leur demeure ; c’est de là qu’ils s’élancent sur la terre et les mers ; c’est de là qu’ils bouleversaient jadis tous les éléments, alors qu’ils n’étaient point encore soumis à l’empire d’Éole, que l’arrivée soudaine des vagues de