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Longtemps ses mains fatiguées cherchent à saisir la toison humide ; mais le poids de ses vêtements trempés (1, 290) d’eau l’entraîne, et l’or de la toison glisse entre ses doigts. Quelle fut ta douleur, ô Phrixus, lorsqu’emporté loin de ta sœur par les flots rapides, tu ne vis plus que la tête de l’infortunée jetant un dernier cri, l’extrémité de ses mains, et sa chevelure éparse sur la surface de l’eau ?

Aux repas et aux divertissements succède le silence, puis le sommeil. Tous gisent étendus sur les lits ; seul l’impatient Jason ne dort point. Le vieil Éson et la vigilante Alcimédé sont là, qui le contemplent, qui le pressent dans leurs bras ; il s’entretient doucement avec eux ; il s’efforce de calmer leurs inquiétudes. (1, 300) Mais bientôt sa paupière appesantie a cédé au sommeil. C’est alors qu’il croit voir en songe la divinité protectrice du vaisseau, qui lui parle en ces termes : « Je suis un chêne de Dodone, consacré à Jupiter Chaonien ; je vais naviguer avec toi. Junon n’eût pu m’arracher de mon bois prophétique, sans la promesse d’une place dans le ciel. Voici l’instant de partir ; allons, hâte-toi. Si, pendant notre longue navigation, le ciel inconstant te prépare quelques orages, sois sans crainte, et compte sur les dieux et sur moi. »

Elle dit. Effrayé de ce présage, quelque heureux qu’il soit, (1, 310) Jason se lève précipitamment. Il voit sur les flots, ridés par les premiers feux du jour, tous ses compagnons à l’œuvre : les uns ajustent au mât les antennes ; les autres essayent les rames, en effleurant les eaux ; Argus, au haut de la proue, roule le câble de l’ancre.

Les mères redoublent leurs gémissements, le courage même faillit au cœur des pères ; les larmes coulent ; les embrassements sont plus étroits. La douleur d’Alcimédé est la plus vive ; ses cris plaintifs dominent ceux de toutes les autres femmes, autant que la trompette de Mars écrase la flûte idéenne. (1, 320) « Mon fils, dit-elle, tu vas affronter des hasards indignes de toi, et nous nous séparons ! Mon cœur n’y était point préparé ; je ne craignais pour toi que la terre et les combats : c’est aux dieux d’un autre élément qu’il me faut adresser mes vœux. S’ils me sont agréables, si les destins te rendent à ma tendresse, je pourrai jusque-là endurer la vie et de longues alarmes. Mais si la Fortune en ordonne autrement, aie pitié de nous, mort secourable, quand nous ne faisons que craindre encore sans avoir rien à pleurer ! Hélas ! comment aurais-je redouté Colchos, et l’enlèvement de la toison de Phrixus ? Quels jours, quelles nuits d’inquiétudes et d’insomnie (1, 330) je prévois désormais ! Que de fois, aux rauques mugissements des vagues, je mourrai de peur, en songeant aux orages de la mer de Scythie ! Le calme même de nos côtes, ô mon fils, ne me rassurera point sur ton sort. De grâce, viens m’embrasser encore ; parle, et que ta voix se grave en mes oreilles ; presse mes yeux de ta main chérie. » Ainsi se lamentait Alcimédé. Éson, plus ferme, excite le courage de son fils :