Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/446

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droie nos murs, et menace de renverser et de réduire en poudre les citadelles de l’Italie. Déjà les feux volent jusqu’à nos toits. Tous les yeux, tous les cœurs des Latins sont tournés vers vous. Le roi Latinus lui-même doute au fond de son âme du choix d’un gendre, et ne sait à quelle alliance incliner. C’est peu ; la reine, qui se fiait tant à vous, (12, 660) a péri de ses propres mains, et a fui l’odieuse lumière. Messape et le brave Atinas, seuls devant les portes, soutiennent le combat : ils sont environnés des phalanges serrées de l’ennemi ; autour d’eux la terre est hérissée d’une moisson de fer et d’épées nues ; et vous, vous promenez votre char sur ces gazons déserts. » Turnus, frappé de ces paroles et de la confuse image de tant de désastres, reste immobile et se recueille en silence : dans son cœur bouillonnent et la honte, et la douleur insensée, et l’amour porté jusqu’à la fureur, et le fier sentiment de son courage aux abois. (12, 670) Dès que ce sombre nuage se fut dissipé, et que la lumière eut été rendue à son esprit, il tourna vers les murs de Laurente des yeux enflammés, et se dressa furieux sur son char pour regarder cette grande cité. Il voit ondoyer vers le ciel un tourbillon de flammes qui, roulant d’étage en étage, enveloppait une tour qu’il avait lui-même construite ; des poutres en soutenaient la masse compacte ; il l’avait posée sur des roues, et y avait suspendu des ponts qui la joignaient aux remparts. « Ma sœur, s’écrie-t-il, c’en est fait, les destins l’emportent ! cessez de m’arrêter : courons où m’appellent les dieux et la dure fortune. Je suis résolu de combattre seul contre Énée, et de supporter tout ce que la mort a de plus cruel : ma sœur, vous ne me verrez pas plus longtemps déshonoré ; (12, 680) laissez-moi, je vous en conjure, laissez-moi exhaler mes dernières fureurs. » Il dit, et de son char s’élance d’un bond dans la plaine, se précipite à travers les ennemis et les traits, abandonne sa sœur désolée, et d’une course rapide rompt les épais bataillons. Tel un rocher se précipite et roule de la cime des monts, ou arraché par les vents, ou détrempé par les pluies orageuses, ou sourdement miné par les années ; la masse funeste, emportée d’un immense élan sur les pentes escarpées, bondit dans la plaine, entraînant avec elle les forêts, les troupeaux et les pasteurs : tel l’impétueux Turnus, à travers les bataillons qu’il renverse, (12, 690) se précipite vers les murailles de la ville, là où la terre est tout humectée de sang, où les dards sifflent à travers les airs. Alors il fait un signe de la main, et d’une voix retentissante : « Arrêtez, Rutules, et vous, Latins, retenez vos traits. Quelle que soit la fortune des combats, elle sera la mienne ; il est juste que seul je porte pour vous la peine du traité violé, que seul je combatte. » À ces mots, on se retire, et on laisse un vaste espace entre les deux armées.

Cependant Énée, au seul nom de Turnus, abandonne les murs et les hautes tours de Laurente, interrompt tous les travaux du siège, précipite ses mouvements, (12, 700) et, le cœur bondissant de joie, fait tonner son effrayante armure. Aussi majestueux s’élèvent et l’Athos et l’Éryx ; aussi grand paraît l’Apennin, père de tant de fleuves, tout frémissant des murmures de ses