Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/438

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succombant sous le fardeau qu’il porte, laisse tomber de ses ongles sa proie dans le fleuve, et va se perdre dans la nue. Les Rutules saluent cet heureux présage par leurs cris, et remettent la main au glaive. Le premier, Tolumnius, l’augure, s’écrie : « Le voilà, Rutules, le voilà ce signe que j’ai si souvent demandé : (12, 260) j’accepte le présage, et je reconnais qu’il nous vient des dieux. Moi, oui, c’est moi qui vous appelle ; ressaisissez vos armes, malheureux Rutules, vous que cet odieux étranger, qui porte la guerre et la dévastation sur vos rivages, a épouvantés comme de faibles oiseaux. Lui aussi va fuir, et précipiter sa voile au loin sur les mers ; vous donc serrez vos rangs, et tous, d’un même cœur, défendez votre roi qu’on vient vous ravir. » Il dit, et, se portant en avant, il lance un dard contre les ennemis : le trait siffle et, poussé d’une main sûre, fend les airs. Un cri part ; les lignes ennemies se troublent, le tumulte, échauffe de nouveau les cœurs. (12, 270) Le dard, en volant, va tomber sur un groupe de neuf frères, les plus beaux des guerriers arcadiens, tous fils de Gylippe et d’une Tyrrhénienne, sa fidèle épouse : l’un d’eux est atteint à l’endroit du corps que le baudrier presse de son tissu serré, et où se joignent les deux bords retenus par l’agrafe mordante. Le beau jeune homme, si brillant sous ses armes, a les flancs percés par le trait qui l’étend sur la jaune arène. Mais ses frères, courageuse phalange que la douleur enflamme, saisissent, les uns leurs glaives, les autres leurs javelines, et fondent en aveugles sur l’ennemi : (12, 280) les Laurentins s’avancent pour les recevoir ; alors débordent à flots pressés les Troyens, ceux d’Agylla, et les Arcadiens aux armes peintes : tous ne respirent plus que le combat. On renverse les autels ; une tempête de traits éclate dans les airs obscurcis ; une pluie de fer tombe sur les deux armées. On enlève les feux et les cratères sacrés ; Latinus lui-même s’enfuit, emportant ses dieux outragés par la rupture des traités. Cependant les uns attellent leurs chars ; les autres s’élancent d’un bond sur leurs coursiers, et, le fer en main, cherchent le combat. (12, 289) Messape, qui brûlait de rompre le traité, pousse son coursier contre le Tyrrhénien Auleste, roi et portant les insignes de la royauté ; du choc il le déconcerte : Auleste, qui se précipite pour fuir, s’engage en reculant dans les débris des autels ; et le malheureux tombe sur sa tête et ses épaules. Le bouillant Messape accourt, la javeline en main ; c’est en vain que le monarque demande la vie ; Messape du haut de son coursier l’accable du poids de son arme, et s’écrie : « À lui le coup ; voici la meilleure victime que nous avons offerte aux dieux. » Les Latins accourent, et dépouillent les membres encore palpitants de l’Étrusque. Le prêtre Corynée arrache de l’autel un tison embrasé, et, dans le moment qu’Ébusus fond sur lui pour le frapper, (12, 300) il lui lance la torche au visage : la grande barbe d’Ébusus prend feu ; une odeur s’exhale de la flamme qui pétille. Corynée à l’instant se jette sur son ennemi éperdu, le saisit par la chevelure, et, d’un genou rudement appuyé, le tenant immobile sur l’arène, lui perce le flanc de son épée. Podalire voit le berger Alsus qui, armé d’une hache et au premier rang, se jetait à travers les traits ; le