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un javelot, dont le bois noueux était couvert de sa rude écorce : l’air seul en fut blessé ; Junon détourna le coup et le javelot s’enfonça dans la porte. « Cette arme que brandit ma main vigoureuse, tu ne l’éviteras pas ainsi ; c’est un autre bras que le tien qui va pousser et le trait et la blessure. » Il dit, se dresse de toute sa hauteur en levant son épée, la décharge sur le géant, (9, 750) lui fend la tête entre les deux tempes, et par une immense blessure sépare ses deux joues encore imberbes. Il tombe avec fracas ; la terre est ébranlée de son poids énorme. Ses membres abandonnés, ses armes rougies du sang de sa cervelle, se répandent sur l’arène ; il meurt, et l’on voit pendre des deux côtés sur ses épaules sa tête partagée. À cette vue les Troyens, saisis d’effroi, tournent le dos et se dispersent ; et si Turnus victorieux eût songé à briser les barrières et à livrer aux Latins les portes ouvertes, ce jour eût été le dernier de la guerre et de la nation troyenne. (9, 760) Mais sa fureur et une soif insensée de carnage l’emportèrent en avant. Il accable d’abord Phalaris, et Gygès chancelant sur ses jarrets coupés ; il saisit les traits des fuyards et les lance contre eux ; Junon sert sa vigueur et son courage. Il immole Halys et Phégée, qu’il perce à travers son petit bouclier. Alcandre, Halius, Noémon et Prytanis ignoraient que Turnus fût dans le camp, et échauffaient le combat ; Turnus les attaque et les renverse. Cependant Lyncée marche contre lui et appelle ses compagnons ; mais Turnus, s’adossant à la muraille, le prévient et brandit son glaive, (9, 770) et, d’un seul coup asséné de près, fait rouler au loin sa tête avec son casque. Il tue aussi Amycus, la terreur des bêtes fauves ; Amycus, le plus habile dans l’art de tremper les traits dans des sucs mortels et d’empoisonner le fer. Il tue Clytius, fils d’Éole, et Créthée, ami et compagnon des Muses : épris des charmes des vers et de l’harmonie, il chantait sans cesse, sur les cordes tendues de sa lyre, les coursiers, les armes, et les combats.

Enfin les deux chefs, Mnesthée et Sereste, apprennent le carnage que Turnus fait des Troyens ; (9, 780) ils accourent, ils voient les leurs dispersés, et l’ennemi dans les murs. Alors Mnesthée : « Où fuyez-vous, Troyens ? où courez-vous ? quels autres remparts, quelles autres murailles que celles-ci avez-vous donc ? Un seul homme, emprisonné dans vos retranchements, aura impunément semé le carnage et la mort à travers notre ville, et précipité dans l’Orcus la fleur de nos guerriers ? Quoi ! ni votre malheureuse patrie, ni vos anciens dieux, ni le grand Énée, lâches que vous êtes, ne vous touchent ni ne vous font rougir ? »

Ces paroles enflamment et raffermissent les Troyens ; ils se rallient et font tête à l’ennemi. Turnus se retire peu à peu du combat, (9, 790) gagne le fleuve, et la partie du camp que ceignent les eaux. Les Troyens tous ensemble fondent à grands cris sur lui et le pressent avec ardeur. Ainsi la troupe des chasseurs accable de ses traits un lion féroce : effrayé, mais furieux et lançant des regards terribles, l’animal recule ; sa colère et son courage