Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/390

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Phryglens, deux fois pris, n’avez-vous pas honte d’être encore cernés dans vos retranchements, et de mettre des murailles entre Mars et vous ? (9, 600) Les voilà ces guerriers qui viennent, les armes à la main, nous demander nos filles pour femmes ! Quel dieu, ou plutôt quelle folie vous a poussés en Italie ? Ici vous n’aurez affaire ni aux Atrides, ni au fourbe Ulysse, mais bien aux durs rejetons d’une race aguerrie : nous plongeons dans les fleuves nos nouveau-nés, et nous les endurcissons dans les âpres glaçons de leurs ondes. Chasseurs infatigables, nos enfants fatiguent les forêts ; dompter les coursiers, lancer des dards, ce sont là leurs jeux. Invincible au travail, accoutumée à vivre de peu, notre jeunesse ou dompte la terre avec le hoyau, ou de ses armes bat les remparts des villes. (9, 609) Toute notre vie s’use, à manier le fer, et de la pointe de nos lances nous pressons les flancs de nos taureaux attelés. La lente vieillesse n’affaiblit pas nos courages, n’altère pas notre vigueur ; nous chargeons d’un casque nos cheveux blancs ; et sans cesse nous emportons de nouvelles dépouilles, nous vivons de rapines. Mais vous, Troyens, sous ces vêtements aux splendides couleurs et tout brillants de pourpre, vous portez des cœurs lâches ; vous n’aimez que les danses, guerriers qui étalez des tuniques aux manches pendantes, des mitres ceintes de bandelettes. Allez, Phrygiennes (car vous n’êtes pas même des Phrygiens) allez sur votre mont de Dindyme, où vos oreilles sont accoutumées au double son de la flûte troyenne. Le buis mélodieux et les cymbales de votre Mère des dieux vous appellent (9, 620) sur l’Ida : abandonnez les armes, cédez le fer aux hommes. » Ces insolentes et cruelles bravades, Ascagne ne peut les souffrir ; il bande son arc, amène en arrière le crin d’un coursier qui retient la flèche ; et, les deux bras deçà et delà tendus, il s’arrête, et d’une voix suppliante invoque Jupiter en ces termes : « Dieu tout-puissant, seconde mon audace, et je t’offrirai des dons solennels dans tes temples, et j’immolerai sur tes autels un jeune taureau blanc au front doré, portant la tête aussi haut que sa mère, déjà frappant de la corne, et de ses pieds dispersant l’arène. » (9, 630) Le père des dieux l’entendit, et fit gronder à gauche, sous un ciel pur, son tonnerre. En même temps résonne l’arc qui porte la mort ; la flèche décochée part avec un horrible sifflement, va frapper la tête de Rémulus, et de sa pointe de fer lui perce les deux tempes. « Va maintenant, insulte à la valeur par tes discours insolents ; voici la réponse que les Phrygiens, deux fois pris, envoient aux Rutules. » Ascagne ne dit que ces mots. Les Troyens, frémissant de joie, lui applaudissent par leurs cris ; ce coup porte jusqu’aux nues leurs courages relevés. Du haut de l’empyrée, Apollon à la belle chevelure contemplait, assis sur un nuage, l’armée des Rutules et le camp des Troyens : (9, 640) « Courage, généreux enfant ! dit-il à Iule vainqueur ; c’est ainsi qu’on va jusqu’aux astres, enfant né des dieux et de qui naîtront des dieux. Un jour la race d’Assaracus (et cette gloire lui est due) apaisera toutes les guerres allumées par les destins : enfant, Troie était trop peu pour contenir ta future grandeur. » À ces mots il s’élance de la nue, écarte les souffles de l’air, et marche vers Ascagne.