Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/370

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là où est le forum romain ; des taureaux mugissaient au milieu des splendides Carènes. Lorsqu’ils furent arrivés à la demeure d’Évandre : « Ce seuil, dit le roi arcadien, Alcide vainqueur l’a franchi ; c’est là le palais qui l’a reçu. Osez comme lui, ô mon hôte, mépriser les richesses ; et vous aussi montrez-vous digne d’un dieu, et ne regardez pas d’un œil dédaigneux notre pauvreté. » Il dit et conduit sous l’étroite porte de sa demeure le grand Énée, et l’invite à s’asseoir sur un lit de feuillage que couvre la peau d’une panthère de Libye. Cependant la nuit se précipite, et enveloppe la terre de ses sombres ailes. (8, 370) Vénus, dont le cœur maternel s’épouvante des menaces des Laurentins et des mouvements tumultueux du Latium, s’adresse à Vulcain ; et dans sa couche d’or où elle repose près de son époux, elle lui souffle avec un doux langage les feux d’un divin amour. « Cher époux, lui disait-elle, dans le temps que les rois grecs désolaient par la guerre Pergame due à leurs coups, et ses murailles dévouées à la flamme ennemie, je ne t’ai pas demandé de secourir les malheureux Troyens ; je n’ai pas imploré ton art et les puissantes armes, ouvrages de tes mains ; je n’ai pas voulu que ton génie s’exerçât en vain à ces merveilleux travaux. Et pourtant je devais beaucoup aux enfants de Priam ; (8, 380) j’avais souvent pleuré sur les maux affreux de mon fils Énée. Aujourd’hui, par l’ordre souverain de Jupiter, il s’est arrêté sur les frontières des Rutules. Je viens donc à toi en suppliante ; j’implore ta puissance que j’ai toujours révérée ; c’est une mère qui te demande des armes pour son fils. La fille de Nérée, l’épouse de Tithon ont bien pu te toucher par leurs larmes. Vois quels peuples se liguent, quelles villes ferment leurs portes, aiguisent le fer contre moi et pour la destruction de mes chers Troyens. » À ces mots, la déesse de ses deux bras d’albâtre enveloppe amoureusement son époux, qui résiste encore : mais tout à coup il sent se rallumer dans son cœur sa première flamme ; une chaleur qui lui est connue pénètre ses veines, (8, 390) et se répand dans tous ses membres amollis. Ainsi l’éclair, qui s’échappe de la nue enflammée par le tonnerre, part, ouvre les cieux, et en parcourt la lumineuse étendue. Vénus sent son triomphe, et, sûre de sa beauté, jouit du succès de sa ruse. Alors le dieu qu’enchaîne un éternel amour, lui répond : « Pourquoi chercher des motifs si éloignés ? Qu’est devenue cette confiance que tu avais en moi ? Si ta sollicitude se fût émue plus tôt pour tes Troyens, j’aurais pu leur fournir des armes. Ni le maître tout-puissant de l’Olympe, ni les destins eux-mêmes, n’auraient point empêché Ilion d’être encore debout, et Priam d’y régner encore dix années. (8, 400) Mais aujourd’hui que tu es fermement résolue à combattre, commande seulement ; et tout ce que je puis te promettre des ressources infinies de mon art, tout ce que le fer ou l’or mêlé à l’argent peuvent devenir sous mes mains ingénieuses, tout ce qu’ont de puissance et mes feux et l’haleine de mes vents, est à toi : cesse par tes prières de douter de mes forces. » Il dit, donne à son épouse les baisers désirés, et, mollement étendu sur le sein de la déesse, il abandonne ses membres aux langueurs du sommeil.