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nue par des chocs extérieurs, et que les extrémités ne se détachent pas de la masse, parce que tous les corps aspirent au centre. Mais peux-tu croire que des êtres se soutiennent eux-mêmes ; que des corps pesants, qui occupent le bout opposé de la terre, tendent à gravir et demeurent à la surface, retournés comme les images que nous apercevons dans les eaux ? (1, 1060) On soutient même que des espèces vivantes errent ainsi à la renverse, incapables de tomber dans les abîmes, autant que nos corps de voler eux-mêmes à la cime des nues. Quand ces êtres voient le soleil, les étoiles nous éclairent : ils partagent avec nous la lumière et l’ombre, et leurs nuits sont égales à nos jours.

(1, 1068) Quelques insensés ont été conduits à ces erreurs et à ces fables ridicules, parce que dès leurs premiers pas ils ont fait fausse route. Car si le vide est un espace sans bornes, il ne peut avoir de milieu ; et même, si ce milieu existe, il n’y a aucune raison pour que les corps y séjournent plutôt que dans les autres parties de l’espace. (1, 1073) Toute cette étendue immense, que nous appelons le vide, doit faire place aux corps pesants partout où leur mouvement les emporte, que ce soit au milieu ou non. Il n’y a donc pas de lieu où les corps perdent leur poids, et où ils se fixent au sein du vide : le vide ne peut se soutenir, il leur cède toujours, comme le veut la nature ; (1, 1080) et ainsi il n’est pas vrai que les êtres maintiennent eux-mêmes leur assemblage, tant ils aiment le centre du monde !

D’ailleurs, on nous accorde que ce penchant n’est pas universel : la terre, les liquides, le fluide des mers, les grandes eaux des montagnes, et tous les corps qui participent à la nature terrestre, sont attirés vers le centre ; mais le souffle léger des airs et les atomes du feu en sont écartés : et ce qui fait que les astres scintillent à la voûte du ciel, et que la flamme du soleil se nourrit dans les plaines azurées, (1, 1090) c’est que la chaleur, en fuyant du centre, s’y amoncelle tout entière. De même les espèces vivantes sont alimentées par des corps échappés de la terre ; de même les arbres ne pourraient fleurir et croître, si la terre ne fournissait à chaque rameau sa nourriture. Ces philosophes avouent aussi que le firmament enveloppe le monde, (1, 1095) de peur que ses extrémités ne se détachent tout à coup, et ne se dispersent ainsi que des flammes ailées au sein du vide, et que toute la masse ne les suive ; de peur que le ciel étincelant de tonnerres ne croule sur nos têtes, que la terre ne se dérobe sous nos pieds, que les corps, ruinés eux-mêmes au milieu des ruines confuses du ciel et de la terre, (1, 1101) ne soient engloutis dans les abîmes du vide, et que bientôt rien ne demeure au monde, excepté des atomes invisibles et une immense solitude. Car, aussitôt que les moindres éléments se détachent, il y a une porte ouverte à la mort, et toute la matière ne tarde pas à s’échapper.

Si tu as bien compris ce que je viens de te dire, tu saisiras sans peine le reste ; car ces vérités éclairciront des vérités nouvelles, et dissi-