Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/356

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décoche une flèche : Allecto la guidait ; le trait poussé siffle, et va percer de part en part les flancs du cerf. (7, 500) L’animal blessé accourt à son asile, entre en gémissant dans l’étable ; et, tout sanglant, comme s’il implorait du secours, il remplit la maison de ses plaintes. Silvie la première l’a revu, et, se meurtrissant les bras, pousse un cri de détresse, et appelle tous les rudes habitants de la campagne. Ceux-ci (l’horrible Furie les excitait, cachée dans les profondeurs des bois) accourent soudain, les uns armés de bâtons durcis au feu, les autres de lourdes et noueuses massues ; leur colère fait des armes de tout ce qui se rencontre sous leur main. Tyrrhée lui-même rassemble leur troupe agreste : en ce moment il enfonçait des coins dans un chêne, (7, 510) et le séparait en éclats : il saisit sa cognée, il accourt, respirant la rage. Cependant l’affreuse déesse, qui de sa retraite épiait l’occasion d’irriter le mal, la saisit, va s’abattre sur le toit de l’étable du cerf, et du faîte donne le signal des pasteurs, enfle la trompe champêtre des sons de sa voix infernale : toute la forêt en est ébranlée, et les bois profonds en mugissent. Le signal fut entendu au loin sur le lac d’Aricie ; le Nar l’entendit dans ses eaux blanches et sulfureuses, les sources du Vélino l’entendirent ; et les mères épouvantées pressèrent leurs entants sur leur sein.(7, 519) Aussitôt, saisissant leurs armes indomptables, les laboureurs accourent vers les lieux d’où partent les funestes sons de la trompette ; les Troyens à leur tour, sortant de leur camp, s’élancent en flots impétueux au secours d’Ascagne. On se range en bataille : ce n’est plus un combat agreste ; on ne s’attaque plus avec des bâtons noueux, avec des pieux durcis à la flamme, mais avec le fer, et à travers les chances sanglantes des batailles. La plaine se hérisse au loin d’une horrible moisson d’épées nues ; l’airain étincelle, frappé par les feux du soleil, et renvoie sa lumière jusqu’aux nuages. Ainsi, lorsque la vague commence à blanchir au premier souffle des vents, la mer s’enfle peu à peu, élève plus haut ses ondes, (7, 530) et enfin les lance du fond de ses abîmes jusqu’aux astres. On se mêle ; Almon, l’aîné des enfants de Tyrrhée, tombe, au premier rang, sous la flèche sifflante : le trait lui perce la gorge, ferme les humides passages de la voix, et arrête le souffle de la vie sur ses lèvres ensanglantées. Autour de lui s’entassent mille corps : là tombe le vieux Galésus, tandis qu’il s’avance jetant des paroles de paix entre les combattants. Il était le plus juste et le plus riche entre tous les Ausoniens ; cinq troupeaux bêlants et cinq de bœufs revenaient chaque soir dans ses étables ; et cent charrues retournaient ses terres.

(7, 540) Tandis que l’on combat de part et d’autre avec des chances égales, Allecto, qui a tenu ce qu’elle a promis à Junon, voyant la guerre se teindre de sang, et les premiers combats s’engager dans le carnage, quitte l’Hespérie, et, s’élevant d’une aile triomphante jusqu’à l’Olympe, elle tient à Junon ce langage superbe : « Reine des dieux, j’ai consommé pour vous cette œuvre de discorde et de guerre. Réconciliez, si vous pouvez, les deux peuples ; renouez les liens de la paix, de-