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enflammés, elle repousse le prince interdit et qui veut la supplier encore, (7, 450) fait dresser sur sa tête deux de ses serpents, déploie son fouet retentissant, et, d’une voix qu’enfle la rage, s’écrie : « La voilà cette prêtresse vieille, décrépite, et qui, au milieu des querelles des rois, se forge de vaines terreurs. Regarde-moi ; je suis Allecto ; je sors du sombre séjour des Furies, mes sœurs ; je porte dans mes mains la guerre et la mort. » Elle dit, jette à Turnus une torche qui va s’attacher fumante et lumineuse à la poitrine du guerrier. Une immense et soudaine épouvante le tire de son sommeil ; il se lève ; des flots de sueur coulent de tout son corps, inondent ses membres et ses os. (7, 460) Il s’agite dans un belliqueux transport ; ses armes, il les cherche autour de sa couche, et dans tout son palais ; il ne respire que le fer homicide, que la guerre atroce, insensée ; la colère enflamme encore ses esprits : telle, quand sous l’airain bouillonnant s’embrase et pétille un sarment aride, l’onde furieuse écume et bondit dans sa prison murmurante, exhale des tourbillons de fumée, monte, déborde, n’est déjà plus contenue, et se répand dans les airs en noire vapeur. Turnus donc déclare aux principaux guerriers de sa nation qu’il va marcher contre le roi Latinus, violateur de la paix, leur ordonne de prendre les armes, d’assurer la défense de l’Italie ; de chasser l’ennemi de ses frontières : (7, 470) lui seul, et c’est assez, ira au-devant des Troyens et des Latins. Il dit, et invoque les dieux. Les Rutules s’animent les uns les autres à prendre les armes. Les uns aiment Turnus à cause de sa beauté et de sa jeunesse ; les autres vantent en lui le sang des rois ses aïeux ; ceux-là sont frappés de l’éclat de ses exploits.

Tandis que Turnus remplit les Rutules de sa fougueuse ardeur, Allecto, déployant ses ailes infernales, vole au camp des Troyens, et, méditant un stratagème nouveau, elle observe les lieux d’alentour : elle voit le bel Ascagne poursuivre d’un pied léger et pousser dans des pièges les bêtes sauvages. (7, 480) Alors la fille du Cocyte souffle une soudaine rage aux chiens du jeune chasseur, apporte à leurs narines ardentes l’odeur bien connue d’un cerf, et les précipite sur sa trace. Telle fut la première cause des maux qui désolèrent les campagnes du Latium, celle qui enflamma le feu de la guerre dans les cœurs de ses rustiques habitants. Il y avait un cerf d’une admirable beauté, à la haute ramure, que les enfants de Tyrrhée avaient enlevé à la mamelle de sa mère, et qu’ils nourrissaient dans la maison de leur père : Tyrrhée était commis à la garde des troupeaux du roi et de ses vastes domaines. Silvie, leur sœur, l’avait accoutumé à obéir à sa voix, en faisait ses délices, enlaçait à ses cornes de molles guirlandes, peignait de sa main son poil fauve, et le lavait dans le courant d’une onde pure. (7, 490) L’animal, s’abandonnant aux caresses, et accoutumé à la table de sa maîtresse, errait le jour dans les forêts ; et le soir, quoique tard, il revenait de lui-même à la demeure connue. Ce jour-là, il errait au loin, quand la meute furieuse d’Ascagne le relança, comme il se laissait dériver au courant du fleuve, et se reposait des ardeurs du midi sur la rive verdoyante. Ascagne, qui brûle de signaler son bras, lui