Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/340

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bres bienheureuses, les unes sur le vert gazon s'exercent en se jouant à des luttes innocentes, et combattent sur la molle arène : les autres formant des chœurs frappent la terre en cadence, et chantent des vers. Le prêtre de la Thrace, revêtu d'une longue robe, fait résonner sur des tons divers les sept cordes de sa lyre, y promenant tantôt ses doigts légers, tantôt un archet d'ivoire. Là est l'antique et belle race de Teucer, là ces héros magnanimes nés dans des temps meilleurs, (6,650) Ilus, Assaracus, et Dardanus le fondateur de Troie. Énée est étonné de voir autour d'eux des armes, et des chars vides : les lances sont là fixées en terre, et les coursiers paissent errants et libres dans les prairies ; la noble passion des chars et des armes et des coursiers brillants, qu'avaient ces guerriers pendant leur vie, les charme encore dans les demeures souterraines de la mort. Énée, portant ses regards à droite et à gauche, vit d'autres ombres qui goûtaient sur l'herbe la douceur des festins, et qui chantaient en chœur l'hymne joyeux d'Apollon. Elles étaient couchées au milieu d'un bois odoriférant de lauriers, où vient tomber, en roulant ses eaux abondantes, un divin Éridan. (6,660) Là étaient ceux qui ont reçu des blessures en combattant pour leur patrie ; les prêtres qui furent chastes tant qu'ils vécurent ; les poëtes pieux, qui ont chanté des vers dignes d'Apollon ; ceux qui ont embelli la vie en inventant les arts ; ceux qui par leurs bienfaits ont mérité de vivre dans la mémoire des hommes. Tous ont les tempes ceintes d'une bandelette blanche comme la neige. Ces ombres s'approchaient, se répandant autour d'Énée et de la Sibylle, qui leur parla ainsi, s'adressant à Musée ; car elle le voyait environné de la foule des ombres, et les dépassant toutes par sa taille majestueuse : « Dites-nous, âmes heureuses, et toi, divin poëte, (6,670) dans laquelle de ces régions fortunées habite Anchise : c'est pour lui que nous sommes venus, et que nous avons traversé les grands fleuves de l'Érèbe. » Musée lui répondit en peu de mots : « Nous n'avons point de demeure fixe ; tantôt nous habitons dans ces bois ombreux ; tantôt nous foulons le gazon de ces rives, et ces prés toujours rafraîchis par des ruisseaux : cependant, si vous voulez voir Anchise, franchissez ce coteau, et je vous conduirai par un chemin aisé. » Il dit, et, marchant devant eux, il leur fait contempler du haut de la colline les belles campagnes d'alentour : bientôt ils abandonnent les hauteurs.

Cependant Anchise, au fond d'un frais vallon, (6,680) où sont enfermées les âmes qui doivent naître à la lumière d'en haut, se plaisait à les reconnaître, et comptait avec amour ceux de sa race future et ses chers petits-fils, remarquant déjà leurs destinées, leurs fortunes diverses, leurs mœurs, et leurs exploits. Dès qu'il aperçut Énée qui s'avançait à travers la prairie, transporté d'allégresse, il étendit ses bras vers lui ; des larmes coulèrent sur ses joues, et ces mots tombèrent de sa bouche : « Tu es donc enfin venu, mon fils, et ta piété tant éprouvée pour moi t'a fait surmonter ce dur voyage ! Il m'est