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facile de voir que ce ne sont pas des atomes de feu ; car alors ils auraient beau se quitter, se joindre, changer de place ou changer d’ordre, ils n’en garderaient pas moins leur nature brûlante, et le feu seul pourrait naître du feu. Mais voici, selon moi, comme tout se passe : il existe des corps qui par leurs mouvements, leurs rencontres, leur ordre, leur position et leur forme, produisent le feu, et qui varient leurs productions en même temps que leur ordre, quoique pourtant ils ne tiennent ni du feu ni des autres corps dont les émanations (1, 690) atteignent et frappent nos sens.

Dire que tout est du feu, que le feu est le seul corps véritable, comme le fait Héraclite, me paraît donc une grande folie. Car il combat les sens par les sens mêmes, et il affaiblit leur témoignage, sur qui reposent toutes nos croyances, et qui lui a fait connaître ce qu’il nomme le feu. Il croit, en effet, que le feu peut être connu par les sens ; mais il ne le croit pas des autres corps, qui ne sont pourtant pas moins sensibles. Voilà ce qui me semble faux et extravagant. (1, 700) Où faut-il donc nous adresser ? Que peut-il y avoir de plus infaillible que les sens ? et, sans eux, comment distinguerions-nous le faux du vrai ?

D’ailleurs, pourquoi anéantir tous les autres corps et ne laisser que le feu dans la nature, plutôt que de nier le feu et de reconnaître tous les autres corps ? Ces deux opinions ne sont pas plus folles l’une que l’autre.

Ainsi donc ceux qui croient que le feu est le seul élément des choses, et que le monde peut être composé de feu ; et ceux qui assignent l’air comme principe générateur aux corps ; et ceux qui prétendent que l’eau (1, 710) forme les êtres de sa propre substance, ou que la terre produit tout et revêt toutes les natures, sont allés se perdre, ce me semble, bien loin de la vérité.

Ajoutons-y encore ceux qui doublent les éléments et joignent le feu et l’air à la terre et à l’eau, et ceux qui pensent que tout peut naître de ces quatre corps réunis, de la terre, du feu, de l’air et de l’onde. À la tête de ces derniers est Empédocle l’Agrigentin [717], enfanté sur les bords triangulaires de cette île que les flots azurés de la mer Ionienne baignent et embrassent de leurs replis immenses, (1, 721) et que des ondes qui bouillonnent dans un canal étroit séparent des rivages éoliens. Là se trouve la vaste Charybde ; là gronde l’Etna, qui menace d’amonceler encore ses flammes irritées, pour que de nouveaux feux jaillissent arrachés de ses flancs, et lancent encore leurs éclairs jusqu’au ciel. Cette terre toute peuplée de grandes choses, et que les nations humaines admirent et aiment tant à voir ; cette terre, si riche de productions utiles, et forte d’un épais rempart de héros, (1, 730) n’a jamais rien eu de plus illustre ni de plus sacré, de plus admirable ni de plus cher au monde, que ce grand philosophe. Aujourd’hui encore on se récrie sur les vers échappés de son esprit divin, et on proclame ses sublimes découvertes,