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"Toutes les espérances des Grecs, tout le succès qu’ils attendaient de la guerre commencée contre Troie, reposèrent toujours sur l’assistance de Minerve. Mais depuis que l’impie Diomède, et qu’Ulysse, l’inventeur de tous les crimes, après avoir égorgé la garde de la citadelle, eurent entrepris d’arracher du sanctuaire de la déesse le fatal Palladium, eurent osé saisir son auguste image, et de leurs mains ensanglantées toucher les bandelettes virginales de Pallas, dès lors s’évanouirent et furent emportées sans retour (2, 170) les espérances des Grecs : leurs forces se brisèrent, l’esprit de la déesse se détourna d’eux. Bientôt son courroux éclata par des signes manifestes. À peine la statue eut-elle été placée dans le camp, qu’on vit dans ses yeux levés sur nous pétiller des flammes brillantes, et dégoutter de tous ses membres une sueur salée : trois fois, ô prodige ! elle bondit sur le sol, secouant son égide et sa lance frémissante. Aussitôt Calchas s’écrie qu’il faut fuir, et repasser les mers ; que Pergame ne peut être détruit par les traits des Grecs, si l’armée ne retourne à Argos pour y prendre de nouveaux auspices, et si elle n’en ramène le Palladium, qu’elle a emporté sur ses vaisseaux creux à travers les mers. (2, 180) Aujourd’hui que les Grecs, poussés par les vents, ont regagné Mycènes, ils y préparent des armes et se rendent les dieux plus propices ; ensuite ils repasseront la mer, et reparaîtront à l’improviste sur ces rivages : c’est ainsi que Calchas a interprété les divins présages. Conseillés par lui, et pour remplacer le Palladium et l’image outragée de la déesse, ils ont fabriqué ce nouveau simulacre en expiation de leur abominable sacrilège. Calchas leur a ordonné d’édifier cette masse immense, et d’en élever jusqu’au ciel les compartiments gigantesques, afin qu’elle ne pût entrer par les portes de votre ville, ni être introduite dans l’enceinte de vos murailles, ni couvrir vos peuples de l’ombre tutélaire d’un culte antique. Car si vous portiez des mains sacrilèges sur ce don offert à Minerve, (2, 190) alors d’épouvantables maux (veuillent les dieux tourner contre les Grecs ces funestes présages !) éclateraient sur l’empire de Priam et sur les Phrygiens. Si au contraire, soulevé par vos mains, le colosse escalade vos murailles, ce sera l’Asie à son tour qui dans une grande guerre fondra sur les murs de Pélops ; et nos neveux doivent s’attendre à ces fatales représailles."

« Tant de perfidie, et l’art infernal du parjure Sinon, nous persuadent ; et ainsi furent vaincus par la ruse et par des larmes feintes ceux que n’avaient pu dompter ni Diomède, ni Achille de Larisse, ni dix ans de combats, ni mille vaisseaux conjurés.

« Pour surcroît de malheur, un prodige nouveau et plus effrayant (2, 200) encore s’offre à nos yeux, et achève de troubler nos esprits aveuglés. Laocoon, que le sort avait fait grand prêtre de Neptune, immolait en ce jour solennel un taureau sur l’autel du dieu. Voilà que deux serpents (j’en tremble encore d’horreur), sortis de Tenédos par un calme profond, s’allongent sur les flots, et, déroulant leurs anneaux immenses, s’avancent ensemble vers le rivage. Le cou dressé, et levant une crête sanglante au-dessus des vagues,