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gue série des faits mémorables de leurs règnes, transmise de héros en héros dès l’origine de l’antique nation tyrienne.

Énée, à qui la tendresse paternelle ne laisse pas l’esprit en repos, envoie en toute hâte Achate vers la flotte. Il veut qu’il aille informer Ascagne de ces heureux événements, et qu’il amène son fils à Carthage. Ascagne est l’unique objet où se fixe la sollicitude de ce tendre père. Il ordonne en même temps que des présents, débris précieux arrachés aux flammes d’Ilion, soient apportés : c’étaient un manteau chamarré d’or et d’un dessin splendide, un voile où l’acanthe serpentait en flexibles rameaux : (1, 650) parure de l’Argienne Hélène, admirables présents de Léda sa mère, et qu’elle avait apportés de Mycènes, alors qu’elle allait chercher à Pergame un hymen illégitime. C’étaient un sceptre qu’avait jadis porté Ilione, l’aînée des filles de Priam ; un collier de perles, une couronne d’or avec un double rang de pierres précieuses. Achate, impatient d’exécuter les ordres d’Énée, précipitait ses pas vers la flotte.

Cependant la déesse de Cythère roulait dans son esprit de nouveaux artifices et de nouveaux projets. Elle veut que Cupidon, prenant la figure et les traits du tendre Ascagne, vienne à Carthage sous la forme du fils d’Énée, qu’il embrase Didon enivrée par les présents du héros, et qu’il lui souffle dans les veines ses feux tout-puissants. (1, 661) Elle redoute pour Énée l’hospitalité douteuse de la reine, et ses Tyriens sans foi. Junon surtout et ses haines atroces entretiennent dans le cœur de Vénus de brûlants souvenirs, qui viennent encore troubler la paix de ses nuits. Elle s’adresse donc au dieu ailé, et lui dit : « Mon fils, toi ma force, toi ma seule et grande puissance, toi qui méprises les traits du père des dieux, ces traits qui ont abattu Typhée, j’ai recours à toi, et j’implore en suppliante ton invincible pouvoir. Tu sais que ton frère Énée est jeté par les flots sur tous les rivages, éternel jouet des haines de Junon ; tu le sais, et souvent tu as ressenti pour lui mes douleurs maternelles. (1, 670) Aujourd’hui la Phénicienne Didon le retient dans son palais, et sous le charme de ses caressantes paroles. Je crains pour mes Troyens les murs hospitaliers de Junon : l’implacable déesse ne s’endormira pas dans cette vive conjoncture. J’ai donc songé, mon fils, à prévenir la reine par mes ruses, et à enlacer son cœur dans tes pièges brûlants, si bien qu’aucune divinité ne puisse le changer. Je veux qu’elle brûle pour Énée de tout l’amour que je lui inspirerai. Voilà mon projet, voici ce que tu dois faire pour le seconder. L’enfant royal, Iule, si cher à mon amour, appelé par son père, va se rendre à Carthage, où il doit porter à Didon les présents qu’Énée lui destine, débris sauvés des naufrages et de l’incendie d’Ilion. (1, 680) Moi je transporterai Ascagne endormi sur les monts de Cythère ou d’Idalie, et l’y déposerai dans mes bocages sacrés, de peur qu’il ne vienne à savoir ma ruse et ne traverse mes desseins. Toi, mon fils, prends pour une nuit seulement la figure d’un faux Ascagne : enfant, emprunte-lui ses traits enfantins ; et quand Didon, au milieu des joies du festin et des vapeurs eni-