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pouille fauve, héritera du royaume d’Albe, fondera la cité de Mars, et appellera les Romains de son nom. Ceux-ci ne connaîtront de bornes ni à la grandeur ni à la durée de leur puissance ; je leur ai donné un empire infini comme les temps. Junon elle-même, l’implacable Junon, (1, 280) qui fatigue aujourd’hui de ses craintes haineuses et la mer, et la terre, et les cieux, inclinera à des sentiments meilleurs, et protégera avec moi les Romains, maîtres du monde, et la nation qui portera la toge. Telle est ma volonté. Bien des lustres s’écouleront encore jusqu’à ce qu’il vienne un temps où la maison d’Assaracus asservira Phthie, la superbe Mycènes, et dominera sur Argos vaincue. De la belle race troyenne naîtra Jules César, qui prendra son nom du grand Iüle ; César, qui portera son empire jusqu’aux rivages de l’Océan, la gloire de son nom jusqu’aux astres. (1, 289) Toi-même un jour, libre d’inquiétudes, tu le recevras, tout chargé des dépouilles de l’Orient, dans le séjour des dieux, et les mortels l’invoqueront dans leurs prières. Alors cesseront les guerres ; alors s’adoucira la férocité des temps ; alors l’antique honneur, et Vesta, et Romulus avec Rémus son frère, dicteront des lois aux peuples ; les redoutables portes du temple de la guerre seront fermées par d’étroites barrières de fer ; au dedans, la Discorde impie, assise sur de cruelles armes, les mains liées derrière le dos par cent nœuds d’airain, frémira, la bouche sanglante, dans sa hideuse rage. »

Il dit, et du haut de l’Olympe il envoie le fils de Maïa sur la terre libyenne, afin qu’il dispose la nouvelle cité de Carthage à ouvrir aux Troyens son enceinte hospitalière, et qu’il empêche Didon, qui ignore leur destinée, (1, 300) de les repousser de ses frontières. Mercure, porté sur ses ailes rapides, fend les vagues des airs, s’arrête sur le rivage libyen, et exécute les ordres de Jupiter. Dociles à la volonté du dieu, les Tyriens dépouillent leur humeur farouche ; leur reine la première ouvre déjà son cœur à des sentiments de paix et de bienveillance pour les Troyens.

Cependant le pieux Énée s’agitait dans les inquiétudes d’une nuit sans sommeil. Dès que reparut la douce lumière du jour, il résolut d’aller lui-même reconnaître ces contrées nouvelles : il veut savoir sur quel rivage les vents l’ont poussé, si ces déserts sont habités par des hommes ou abandonnés aux bêtes sauvages, et raconter ses découvertes à ses compagnons. (1, 310) Il laisse sa flotte à l’ancre dans l’enfoncement des bois, à l’abri d’une roche spacieuse, que les arbres enveloppent de tous côtés de leurs noirs ombrages. Il s’avance, accompagné du seul Achate, et brandissant deux javelots armés d’un large fer. Voici qu’au milieu de la forêt sa mère se présente à lui : son air, sa démarche, ses armes, tout en elle est d’une vierge de Sparte ; on dirait encore Harpalyce de Thrace fatiguant ses coursiers effrénés, et devançant dans sa fuite le rapide Eurus. La déesse avait suspendu à ses épaules l’arc léger des forêts ; ses cheveux abandonnés s’épanchaient au gré des