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connaissance du reste. Car, de même que les chiens, une fois sur la piste, découvrent avec leurs narines les retraites où les hôtes errants des montagnes dorment sous la feuillée qui les cache, de même tu pourras seul et de toi-même courir de découvertes en découvertes, forcer la nature dans ses mystérieux asiles, et en arracher la vérité.

(1, 411) Si ta conviction hésite, si ton esprit se relâche, je puis facilement t’en faire la promesse, cher Memmius : des preuves abondantes, que mon esprit a puisées aux grandes sources de la sagesse, vont couler pour toi de mes lèvres harmonieuses. Je crains même que la vieillesse ne se glisse dans nos membres à pas lents, et ne rompe les chaînes de notre vie, avant que cette richesse d’arguments sur toutes choses n’entre avec mes vers dans ton oreille. Mais il faut maintenant poursuivre ce que nous avions entamé.

(1, 420) La nature se compose donc par elle-même de deux principes, les corps, et le vide où ils séjournent et accomplissent leurs mouvements divers. Le sens commun atteste que les corps existent ; et si cette croyance fondamentale n’exerce pas un empire aveugle, il n’y a aucun moyen de convaincre les esprits, quand on explique par la raison ce qui échappe aux sens. Quant à ce lieu ou à cet espace que nous appelons le vide, s’il n’existait pas, les corps ne trouveraient place nulle part, et ils ne pourraient errer en tous sens, (1, 430) comme je te l’ai démontré plus haut.

En outre, il n’est aucune substance qu’on puisse déclarer à la fois indépendante de la matière, distincte du vide, et qui offre les apparences d’une troisième nature. Car, quel que soit ce principe, pour exister, il doit avoir un volume petit ou grand ; et au moindre contact, même le plus léger, le plus imperceptible, il va augmenter le nombre des corps et se perdre dans la masse. S’il est impalpable, au contraire, si aucune de ses parties n’arrête le flux des corps qui le traversent, (1, 440) n’est-ce point alors cet espace sans matière que je nomme le vide ?

D’ailleurs, tous les êtres qui existent par eux-mêmes doivent agir, ou souffrir que les autres agissent sur eux ; ou bien il faut que des êtres soient contenus et se meuvent dans leur sein. Mais il n’y a que les corps qui puissent agir ou endurer l’action des autres, et il n’y a que le vide qui puisse leur faire place. Il est donc impossible de trouver parmi les êtres une troisième nature qui frappe les sens, ou soit saisie par la raison, et qui ne tienne ni de la matière ni du vide.

(1, 450) Car on ne voit rien au monde qui ne soit une propriété ou un accident de ces deux principes. Une propriété est ce qui ne peut s’arracher et fuir des corps, sans que leur perte suive ce divorce : comme la pesanteur de la pierre, la chaleur du feu ; le cours fluide des eaux, la nature tactile des êtres, et la subtilité impalpable du vide. Au contraire, la liberté, la servitude, la richesse, la pauvreté, la guerre, la paix et toutes les choses de ce genre, se joignent aux êtres ou les quittent sans altérer leur nature, et nous avons coutume de les appeler à juste titre des accidents.