Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/219

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tombant sur elle-même ; pourquoi les soleils d'hiver se hâtent tant de se plonger dans l'Océan, pourquoi les nuits d'été sont si tardives. Mais si mon sang glacé, si mes esprits trop lents m'empêchent de pénétrer ces mystères de la nature, qu'au moins j'aime les champs, et les rivières qui arrosent les vallées ; que j'aime les fleuves et les forêts, oisif et sans gloire ! Ô plaines du Sperchius, où êtes-vous ? où êtes-vous, sommets du Taygète, foulés par les jeunes bacchantes de Sparte ? Oh ! qui me portera dans les frais vallons de l'Hémus ? qui me couvrira de l'ombre immense de ses arbres ?

(2, 490) Heureux celui qui peut connaître les causes premières des choses ! Heureux celui qui a mis sous ses pieds toutes les vaines terreurs des mortels, le destin inexorable, et les vains bruits de l'avare Achéron ! Heureux aussi celui qui connaît des dieux champêtres, Pan, le vieux Sylvain et la troupe des nymphes ! Rien ne l'émeut, ni les faisceaux que le peuple donne, ni la pourpre des rois, ni la discorde qui met aux prises les frères perfides, ni les Daces conjurés descendant des bords de l'Ister, ni les affaires romaines et les empires périssables de la terre : il n'a point à s'apitoyer sur le pauvre ; il n'a point à envier le riche. (2, 500) Content des biens que ses champs d'eux-mêmes et sans effort lui abandonnent, il cueille les fruits de ses arbres : il ne connaît ni les lois de fer, ni le forum et ses fureurs, ni les actes publics.

Les uns tourmentent avec la rame les mers ténébreuses, et se précipitent sur le fer ennemi ; ou bien ils pénètrent dans les cours, et rampent sur le seuil des rois. Celui-ci va saccager une ville et de malheureux Pénates, afin de boire dans le saphir et de dormir sur la pourpre tyrienne. Celui-là enfouit ses trésors, et se couche sur son or enseveli. Cet autre s'arrête stupéfait devant la tribune aux harangues ; cet autre, la bouche béante, est tout saisi des applaudissements redoublés du sénat et du peuple, que lui renvoient les gradins du théâtre. (2, 510) Les frères se réjouissent d'avoir trempé leurs mains dans le sang de leurs frères ; et, quittant pour l'exil le lieu de leur naissance et le doux seuil de leur maison, ils vont chercher une autre patrie sous un autre soleil.

Cependant le laboureur ouvre la terre avec la charrue recourbée. C'est le travail de toute l'année ; c'est par là qu'il soutient sa patrie, ses enfants, ses troupeaux, ses bœufs qui ont bien mérité de lui. Point de repos pour le laboureur, avant que l'année ne l'ait comblé de fruits, n'ait repeuplé ses bergeries, rempli ses sillons de gerbes fécondes et de moissons entassées, et fait gémir ses greniers. Voici venir l'hiver : alors on broie sous le pressoir l'olive de Sicyone ; (2, 520) les pourceaux repus de glands reviennent joyeux à l'étable ; la forêt donne ses baies sauvages ; l'automne laisse tomber tous ses fruits à la fois ; et, sur les hauts coteaux, les rochers qu'échauffe le midi achèvent de mûrir la vendange.

Cependant le laboureur voit ses enfants chéris se suspendre à ses baisers : sous son chaste toit on garde la pudeur ; ses vaches laissent pendre leurs mamelles pleines de lait ; et dans les riantes prairies ses gras chevreaux luttent à l'envi en se heurtant de leurs cornes. Lui aussi célèbre des jours de fête, et, couché sur l'herbe, où brille la