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comme nous voyons les lettres produire tous les mots, que celle d’un être dépourvu de germe. (1, 200) D’où vient aussi que la nature n’a pu bâtir de ces géants qui traversent les mers à pied, qui déracinent de vastes montagnes, et dont la vie triomphe de mille générations, si ce n’est parce que chaque être a une part déterminée de substance, qui est la mesure de son accroissement ? Il faut donc avouer que rien ne peut se faire de rien, puisque tous les corps ont besoin de semences pour être mis au jour et jetés dans le souple berceau des airs. Enfin un lieu cultivé a plus de vertu que les terrains incultes, (1, 210) et les fruits s’améliorent sous des mains actives : la terre renferme donc des principes ; et c’est en remuant avec la charrue les glèbes fécondes, en bouleversant la surface du sol, que nous les excitons à se produire. Car, autrement, toutes choses deviendraient meilleures d’elles-mêmes, et sans le travail des hommes.

Ajoutons que la nature brise les corps, et les réduit à leurs simples germes, au lieu de les anéantir.

En effet, si les corps n’avaient rien d’impérissable, tout ce que nous cesserions de voir cesserait d’être, (1, 220) et il n’y aurait besoin d’aucun effort pour entraîner la dissolution des parties et rompre l’assemblage. Mais comme tous les êtres, au contraire, sont formés d’éléments éternels, la nature ne consent à leur ruine que quand une force vient les heurter et les rompre sous le choc, ou pénètre leurs vides et les dissout.

D’ailleurs, si les corps que le temps et la vieillesse font disparaître périssent tout entiers, et que leur substance soit anéantie, comment Vénus peut-elle renouveler toutes les espèces qui s’épuisent ? comment la terre peut-elle les nourrir, et les accroître quand elles sont reproduites ? (1, 231) Avec quoi les sources inépuisables alimentent-elles les mers et les fleuves au cours lointain  ? et de quoi se repaît le feu des astres ? Car si tout était périssable, tant de siècles écoulés jusqu’à nous devraient avoir tout dévoré ; mais puisque dans l’immense durée des âges, il y a toujours eu de quoi réparer les pertes de la nature, il faut que la matière soit immortelle, et que rien ne tombe dans le néant.

(1, 239) Enfin, la même cause détruirait tous les corps, si des éléments indestructibles n’enchaînaient plus ou moins étroitement leurs parties, et n’en maintenaient l’assemblage. Le toucher même suffirait pour les frapper de mort, et le moindre choc romprait cet amas de substance périssable. Mais comme les éléments s’entrelacent de mille façons diverses, et que la matière ne périt pas, il en résulte que les êtres subsistent jusqu’à ce qu’ils soient brisés par une secousse plus forte que l’enchaînement de leurs parties. Les corps ne s’anéantissent donc pas quand ils sont dissous, mais ils retournent et s’incorporent à la substance universelle.

(1, 250) Ces pluies même que l’air [251] répand à grands flots dans le sein de la terre qu’il féconde, semblent perdues ; mais aussitôt s’élèvent de riches