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mon antre, et les vignes flexibles s’y entrelacent en frais berceaux. Viens, et laisse les flots en fureur battre les rivages. »

LYCIDAS.

Et ces autres vers que je t’ai une fois entendu chanter seul, dans une belle nuit ; je redirais l’air, si je me souvenais des paroles.

MERIS.

« Pourquoi, Daphnis, contemples-tu le lever des antiques étoiles ? vois-tu s’avancer dans les cieux l’astre de César, du petit-fils de Vénus ? astre heureux, sous lequel la moisson se réjouira de mûrir, la grappe va se colorer sur nos coteaux aux feux du midi. (9, 50) Plante des poiriers, Daphnis ; tes petits-fils en cueilleront les fruits. » Le temps emporte tout, même l’esprit : je me souviens qu’enfant je ne finissais de chanter qu’avec les soleils des longs jours : comment ai-je oublié tant de chansons ? ma voix même s’en va : quelque loup le premier aura vu Méris. Mais tu entendras assez souvent mes vers de la bouche de Ménalque.

LYCIDAS.

Vains prétextes ! Méris, tu me fais languir dans cette douce attente. Et pourtant la mer aplanie se tait comme pour t’écouter, vois, et tous les murmures de l’air sont tombés : nous avons fait la moitié de notre route, et déjà (9, 60) apparaît dans le lointain le tombeau de Bianor. Arrêtons-nous ici, Méris, où tu vois ces laboureurs émonder un épais feuillage ; chantons ici, et mets à terre tes chevreaux : nous arriverons assez tôt à la ville : ou, si nous craignons que la pluie ne s’amassant dans la nuit ne nous surprenne, chantons en poursuivant notre route ; elle en sera moins longue. Pour que nous marchions en chantant, je te soulagerai de ce fardeau.

MÉRIS.

Enfant, laisse là les chants ; l’heure nous presse ; allons : quand Ménalque sera de retour, nous chanterons plus à l’aise.






ECLOGUE X.
GALLUS.

(10, 1) Permets, ô Aréthuse, ce dernier effort à ma muse champêtre. Que mon cher Gallus ait de moi peu de vers, mais des vers qui soient lus de Lycoris elle-même : qui refuserait des vers à Gallus ? Ainsi puisse ton onde, coulant sous les flots de Sicile, ne se mêler jamais avec l’onde amère de Doris ! Commençons, et chantons les malheureuses amours de Gallus, tandis que mes chèvres camuses brouteront les tendres arbrisseaux. Ici rien n’est sourd à nos chants ; j’entends déjà les forêts me répondre.

Quels bois, ô Naïades, quelles forêts vous cachaient à la lumière, (10, 10) quand Gallus se mourait d’un indigne amour ? Car ni les sommets du Parnasse ni ceux du Pinde ne vous retenaient, ni les claires eaux d’Aganippe. Les lauriers le pleurèrent ; il fut aussi pleuré des bruyères : le Ménale couronné de pins le pleura, quand il le vit gisant sous ses rochers solitaires ; le Lycée