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des hommes qui l’emportèrent toute tremblante à l’autel, non pour lui former un cortège solennel après un brillant hymen, mais afin qu’elle tombât chaste victime sous des mains impures, à l’âge des amours, (1, 100) et fût immolée pleurante par son propre père, qui achetait ainsi l’heureux départ de sa flotte : tant la superstition a pu inspirer de barbarie aux hommes  !

Toi-même, cher Memmius, ébranlé par ces effrayants récits de tous les apôtres du fanatisme, tu vas sans doute t’éloigner de moi. Pourtant ce sont là de vains songes ; et combien n’en pourrais-je pas forger à mon tour qui bouleverseraient ton plan de vie, et empoisonneraient ton bonheur par la crainte ! Et ce ne serait pas sans raison ; car pour que les hommes eussent quelque moyen de résister à la superstition et aux menaces des fanatiques, il faudrait qu’ils entrevissent le terme de leurs misères : (1, 111) et la résistance n’est ni sensée, ni possible, puisqu’ils craignent après la mort des peines éternelles. C’est qu’ils ignorent ce que c’est que l’âme ; si elle naît avec le corps, ou s’y insinue quand il vient de naître ; si elle meurt avec lui, enveloppée dans sa ruine, ou si elle va voir les sombres bords et les vastes marais de l’Orcus ; ou enfin si une loi divine la transmet à un autre corps, ainsi que le chante votre grand Ennius [118], le premier qu’une couronne du feuillage éternel, apportée du riant Hélicon, immortalisa chez les races italiennes. (1, 121) Toutefois il explique dans des vers impérissables qu’il y a un enfer, où ne pénètrent ni des corps ni des âmes, mais seulement des ombres à forme humaine, et d’une pâleur étrange ; et il raconte que le fantôme d’Homère, brillant d’une éternelle jeunesse, lui apparut en ces lieux, se mit à verser des larmes amères, et lui déroula ensuite toute la nature.

Ainsi donc, si on gagne à se rendre compte des affaires célestes, des causes qui engendrent le mouvement du soleil et de la lune, des influences qui opèrent tout (1, 130) ici-bas, à plus forte raison faut-il examiner avec les lumières de la raison en quoi consistent l’esprit et l’âme des hommes, et comment les objets qui les frappent, alors qu’ils veillent, les épouvantent encore, quand ils sont ensevelis dans le sommeil ou tourmentés par une maladie ; de telle sorte qu’il leur semble voir et entendre ces morts dont la terre recouvre les ossements.

Je sais que dans un poème latin il est difficile de mettre bien en lumière les découvertes obscures des Grecs, et que j’aurai souvent des termes à créer, tant la langue est pauvre et la matière nouvelle. (1, 141) Mais ton mérite, cher Memmius, et le plaisir que j’attends d’une si douce amitié, m’excitent et m’endurcissent au travail, et font que je veille dans le calme des nuits, cherchant des tours heureux et des images poétiques qui puissent répandre la clarté dans ton âme, et te découvrir le fond des choses.

Or, pour dissiper les terreurs et la nuit des