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des hommes, dans leurs transports aveugles, imaginent (4, 1150) et accordent aux femmes mille beautés qui ne sont point à elles. Vicieuses ou difformes, elles leur paraissent éblouissantes de charmes, et dignes des plus éclatants hommages. Et ils se raillent les uns des autres. « Apaisez Vénus, qui vous afflige de ces honteuses amours, » disent-ils, les malheureux, sans voir leurs propres et lamentables infortunes [1155] !

De noires amantes sont dorées comme le miel [1156]. Infectes et sales, elles négligent la parure. Louches, elles ont, comme Pallas, un œil au flottant azur. Sèches et roides, ce sont des biches ; imperceptibles naines, de véritables Grâces, élégantes merveilles ; énormes colosses, de majestueuses et imposantes beautés. (4, 1160) Elles bégayent, et parlent mal : doux embarras ! Elles ne soufflent mot : aimable pudeur ! Elles sont impétueuses, bavardes, insoutenables : quel feu pétillant ! Tombent-elles de maigreur, elles sont adorables de finesse ; sèchent-elles de la toux, elles ne sont que languissantes. Un corps massif, aux larges appas, devient une Cérès allaitant Bacchus. Un nez camus rappelle les Sylvains, les Faunes, et de grosses lèvres sont le trône du baiser. Faire le dénombrement de toutes ces illusions, est chose trop longue.

Supposons même que tous les charmes éclatent sur leur visage, que tous leurs membres exhalent Vénus. Mais elles ne sont point uniques ; mais on a bien vécu avant de les connaître ; (4, 1170) mais elles partagent les vils besoins des plus immondes. Hélas ! elles sont infectées par elles-mêmes, et leurs femmes en déroute se cachent pour éclater de rire.

Cependant un adorateur rebuté inonde leur seuil de larmes, de fleurs, de guirlandes, de parfums, et imprime de lamentables baisers à ces portes orgueilleuses. Enfin il entre ; mais, au passage, le moindre souffle blesse-t-il ses narines ? prompt à fuir, il cherche des prétextes honnêtes ; ces plaintes, longtemps méditées et jaillies du cœur, expirent à ses lèvres : (4, 1179) il voit et accuse sa démence, lui qui enrichissait une mortelle des biens que sa nature lui refuse. Nos déesses le savent. Aussi enveloppent-elles d’un épais rideau ces coulisses de la vie, quand elles veulent nous retenir, nous enrôler sous les bannières amoureuses. Vains efforts ! Arrêtent-elles la pensée, qui va illuminer ces mystères et dépister ces ridicules ? Elles ont beau être gracieuses, adorables : on ne se résigne point à faire la part des infirmités humaines.

Au reste, leurs soupirs ne sont pas toujours de voluptueux mensonges, quand elles enlacent et rivent leur corps au corps des hommes, (4, 1190) et que leur bouche ruisselante pompe le baiser sur nos lèvres. Non, elles obéissent souvent à leur instinct, et, avides de joies communes, elles nous excitent à fournir la carrière des amours. Pourquoi les oiseaux, les bêtes sauvages, les génisses, les brebis, les juments, succombent-elles aux feux du mâle, sinon parce que leurs corps eux-mêmes brûlent, fermentent, débordent, et aiment à repousser les coups de son ardeur bondissante ?

Ne vois-tu point, ô Memmius, des êtres que