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LES AMOURS.

l’importunité, sans une ombre de plaisir. Si même il est permis de pousser les choses plus loin, et cela doit être dans un lieu consacré à Vénus, muliere quidem, Callicratida, etiam puerilem in morem utenti oblectari licet, duplici fructus aperta via, sed femineum fructum nullo modo mas præbere potest.

[28] « J’en conclus que, si la femme peut aussi vous plaire, nous devons à jamais nous abstenir les uns des autres ; ou bien, si le commerce d’un homme avec son semblable est honnête, qu’à l’avenir les femmes puissent s’aimer entre elles. Allons, homme de la génération nouvelle, législateur d’étranges voluptés, inventeur de routes nouvelles à la lubricité des hommes, accorde donc aux femmes une égale licence. Qu’à votre exemple elles s’unissent les unes aux autres. Que, ceinte de ces instruments infâmes inventés par le libertinage, monstrueuse imitation faite pour la stérilité, une femme embrasse une autre femme, comme le ferait un homme ! Que ce mot, qui frappe si rarement vos oreilles et que j’ai honte de prononcer, que l’obscénité de nos Tribades triomphe sans pudeur ! Que nos gynécées se remplissent de Philénis[1], qui se déshonorent par des amours androgynes ! Et combien encore ne vaudrait-il pas mieux qu’une femme poussât la fureur de sa luxure jusqu’à vouloir faire l’homme, que de voir celui-ci se dégrader au point de jouer le rôle d’une femme ? »

[29] Après avoir prononcé ces mots avec chaleur et d’un ton élevé, Chariclès se tut et lança des regards terribles et farouches : on eût dit qu’il venait d’employer une conjuration expiatoire contre tous les amours masculins. Pour moi, jetant doucement les yeux sur l’Athénien, je lui dis avec un léger sourire : « En m’asseyant ici, Callicratidas, je m’attendais à ne juger qu’une bagatelle, une plaisanterie ; mais la véhémence de Chariclès a rendu, je ne sais comment, ma fonction bien plus sérieuse. Il s’est passionné presque autant que s’il eût eu à plaider, en plein Aréopage, sur un meurtre, sur un incendie, ou, par Jupiter, sur un empoisonnement. Voici l’instant, ou jamais, d’appeler Athènes à ton secours. Que l’éloquence persuasive de Périclès, que la, langue des dix orateurs armés contre la Macédoine viennent fortifier ta parole et rappelle-nous quelqu’une des fameuses harangues prononcées dans le Pnyx. »

[30] Callicratidas, après quelques moments de silence, pendant lesquels on lisait sur son front la vive agitation de son esprit, commença sa réponse en ces mots : « Si les femmes avaient le droit d’assister à l’assemblée du peuple, de siéger aux tribunaux

  1. Courtisane perdue de débauche.