Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/66

Cette page n’a pas encore été corrigée

la vue de la faim, du froid, de l’humiliation de milliers d’hommes, il comprit que « l’existence misérable de ces gens est un crime affreux pour la société ». La vie des grandes villes, qui jusque-là lui avait été étrangère, lui devint odieuse et toutes les joies de la vie de luxe se changèrent pour lui en tourments. II avait beau chercher en son âme une raison quelconque pour disculper la vie de son monde, il ne pouvait voir son salon ou celui des autres, une table somptueusement servie, une voiture ou un bel attelage, les magasins, etc., et à côté de tout cela, les hommes torturés par la faim et le froid. Il lui était impossible de se défaire de l’idée que ces deux choses se liaient et que l’une était la conséquence de l’autre. Il conçut ridée chimérique de se servir du recensement qui eut lieu à cette époque à Moscou pour connaître la misère moscovite, la soulager par les actes et l’argent et faire de telle sorte qu’il n’y eût plus de pauvres dans la ville. Mais dès le premier pas il comprit bien vite que son idée était invraisemblable. Chose étrange ! Il lui semblait auparavant que faire du bien, donner de l’argent aux nécessiteux était une bonne action qui devait procurer à chacun le contentement de soi-même. C’est pourtant tout le contraire qui se produisit. Il comprit que la charité était impuissante à faire disparaître toutes les misères et il sentit naître en lui un sentiment de malveillance et de blâme envers la charité et envers lui-même.

Pendant la tentative de Tolstoï de venir en aide aux pauvres de Moscou, voyant l’inutilité de ses efforts, il se figurait qu’il était « pareil à un homme qui s’efforcerait de retirer un de ses semblables d’un