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il arriva quinze ans plus tard. Mais il venait d’envisager un autre côté de la vie qu’il n’avait pas encore éprouvé et qui lui promettait le bonheur : la vie de famille.

La comtesse avait à peine dix-neuf ans quand elle mit au monde son premier enfant. Tolstoï attendait ce grand événement avec une douce impatience. Il se sentait dans le même état moral qu’auprès du lit de mort de son frère Nikolaï ; l’attente du bonheur, comme celle de la douleur, le transportait au-dessus du niveau habituel de l’existence, à des hauteurs d’où il découvrait des sommets plus élevés encore ; et son âme criait vers Dieu, avec la même simplicité, la même confiance qu’au temps de son enfance. Lorsqu’on lui dit : « C’est fini ! », lorsqu’il leva les yeux sur la jeune mère, « belle, d’une beauté surnaturelle », cherchant à lui sourire, Léon Nikolaievitch se sentit rentrer dans la réalité d’un lumineux bonheur ; il fondit en larmes et des sanglots le secouèrent si violemment qu’il ne put parler. À genoux près de sa femme, il appuyait ses lèvres sur sa main, tandis qu’au pied du lit, s’agitait entre les mains de la sage-femme, « la faible flamme de vie de cet être humain qui entrait dans le monde avec des droits à l’existence, au bonheur, et qui, une seconde auparavant, n’existait pas[1] ».

La comtesse donna à son mari treize enfants ; ils eu ont actuellement neuf : quatre filles et cinq fils. Le dernier est né en 1891. La mère les a tous nourris elle-même.

  1. Anna Karénine.