Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/186

Cette page n’a pas encore été corrigée

la conscience. Car le bonheur, c’est la paix intérieure, c’est la pureté d’âme, c’est la volonté consciente, c’est le Bien, c’est l’Amour !

Rêve ? Chimère ? Peut-être ! « Il y a des rêves stériles qui se détruisent à mesure qu’ils se forment et s’évaporent avec la fumée des cigares dont ils sont nés. Il y en a d’autres qui sont une action perpétuelle de la pensée, mais que nous appelons rêves, parce qu’ils ne se déterminent pas sous une forme plastique[1]. »

Qu’importe l’origine si le résultat mérite de vivre, malgré le défaut de suite et l’incohérence des détails ? Certains rêves, certaines idées sont comme les enfants vivaces ; on les préfère endormis ; jamais ils ne sont plus sages ; réveillés, ils nous troublent et parfois nous effraient. Les idées ont l’enfance difficile, mais rien de noble ne se fait sans peine : il n’y a pas de rêve sans souffrance. Plus le rêve est beau, plus l’idée est belle, grande, sincère, plus elle a à lutter avec la foule, moins elle est d’accord avec ses instincts. Elle commence par devenir volonté, force motrice, principe vital d’un petit nombre d’êtres dont elle devient l’âme et qui se mettent à répandre ce germe de vie éternelle, cette graine féconde dans le sein mystérieux des hommes dont ils attendent, parfois longtemps, la fructification divine.

La nature et l’homme, qui en est une parcelle, enfantent seulement au milieu de la douleur. Tout est douleur dans la vie. « La naissance est douleur,

  1. E. Caro. La maladie de l’Idéal, Revue des Deux-Mondes, 15 février 1883, p. 798.