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voulu faire. Chaque artiste porte en lui un idéal qui veut être satisfait. De là vient une comparaison incessante entre le degré atteint et celui qu’on voudrait pouvoir atteindre, qu’on se sent capable d’atteindre. Voilà pourquoi le meilleur critique d’une œuvre d’art, c’est son créateur, c’est-à-dire l’artiste lui-même. Nous pouvons dire qu’il y a un critique dans tout artiste ; il y a de même un artiste dans tout critique. Le point de départ de tous les deux, c’est l’idéal, ou, comme dit M. Th. Ribot, tous les deux « rêvent une œuvre organique, vivante donc complexe[1] ». Concevoir un idéal, c’est déjà l’aimer ; le comprendre, c’est en être saisi. Plus on en est saisi, plus on est près de l’exprimer soi-même : l’artiste par une création ; le critique par des conseils et des formules. Tous les deux planent dans l’imagination. Le rôle de l’imagination dans l’art est immense, c’est elle qui est la source du talent, la source des émotions, des sentiments de l’artiste, c’est elle qui crée sa vocation, c’est dans l’imagination que l’artiste puise ses lumières et ses ombres, ses mélodies plaintives ou joyeuses, et ses harmonies solennelles et ses mouvements imprévus. Mais l’imagination est encore la terra incognita de l’esprit humain, c’est à peine si elle soulève le rideau qui nous voile toutes ses forces spontanées. Celui qui se consacrerait à l’étude du rôle de l’imagination dans l’art ne dépenserait pas sa peine en vain.

  1. Passage cité.