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COMMERCE DE LA VALLÉE DU FLEUVE.

fleuve, qui est possible par barques en toute saison entre Bassac et Pnom Penh. Peu de travaux suffiraient d’ailleurs pour améliorer ce passage et faciliter le transbordement qu’il rend nécessaire.

Les productions des tribus sauvages qui habitent les montagnes de la rive gauche du fleuve, forment environ la moitié de l’apport commercial de Bassac, Attopeu, Stung Treng et Khong. Les régions qu’habitent les sauvages manquent de coton, de tabac et d’indigo ; elles fournissent, en échange de ces denrées, de la poudre d’or, de l’ortie de Chine, de l’ivoire, de la cire, du cardamome bâtard, des cornes de rhinocéros, des plumes de paon, des peaux et des os d’animaux sauvages. Ces objets ont tous une grande valeur sur le marché chinois et pourraient donner lieu à un trafic très-important et très-lucratif. Le taux auquel se font aujourd’hui les échanges fait ressortir environ un bénéfice de 75 pour 100. La livre d’arec, qui vaut 35 centimes sur le marché de Pnom Penh, s’échange à Stung Treng contre une livre de cire qui vaut au moins 3 francs sur le même marché.

Il serait du plus haut intérêt pour notre colonie d’attirer vers elle celles de ces marchandises qui, sollicitées par le marché plus considérable de Bankok, abandonnent la route du fleuve, si courte et si économique, pour se diriger vers Oubôn ; mais il faudrait pour cela supprimer, ou du moins adoucir, les droits de douane prélevés à Pnom Penh, au profit du roi de Cambodge, sur toutes les marchandises venant du Laos. Il faudrait obtenir aussi du gouvernement siamois qu’il renonçât aux échanges forcés auxquels se livrent les envoyés de Bankok, qu’il s’entendît avec le gouvernement de la Cochinchine pour la suppression du commerce des esclaves, et qu’il rendît à toutes ces contrées, en retour de l’impôt régulier que la conquête lui a donné le droit de prélever sur elles, une entière liberté commerciale. Il faudrait enfin améliorer les routes déjà existantes, ou même en construire de nouvelles.

La suppression du commerce des esclaves est de toutes ces mesures la plus urgente et celle qui intéresse le plus la dignité de la France. Il ne faut pas que le marché de Pnom Penh demeure plus longtemps l’un des points d’écoulement de cette denrée humaine. La moralisation des habitants, le développement des ressources et la sécurité de la contrée, l’augmentation du prestige des Européens seraient les conséquences immédiates de l’interdiction de cet odieux trafic.

La navigation par barques ou par radeaux suffira de longtemps encore à la circulation commerciale de la vallée du fleuve, en admettant même que cette circulation prenne un accroissement considérable. On parviendrait peut-être à créer, à très-peu de frais, une voie de communication plus rapide, plus sûre et presque aussi économique que la route du fleuve, en construisant un tramway dans la région plate, sablonneuse et riche en forêts, qui s’étend entre la province de Saigon et Stung Treng. On transporterait par cette voie les marchandises européennes, dont le faible volume et la valeur relativement considérable ne s’accommoderaient pas des transports en barque, trop lents et trop sujets à avaries quand on remonte le fleuve. À partir de Stung Treng, le Se Cong fournirait une voie fluviale, très-probablement navigable pour des chaloupes à vapeur, qui donnerait accès à la route de chars, qui relie Sieng Pang à Khong et à la vallée supérieure du